49.3, nuances de crises

Il y a un an, le 17 avril 2015, M. Wolfgang Schäuble, Ministre des finances allemand, avec la Kolossale finesse qui le caractérise toujours, déclarait devant la Brookings institution, un think tank basé à Washington aux Etats-Unis : « La France serait contente que quelqu’un force le Parlement, mais c’est difficile, c’est la démocratie ». Goguenard, il ajoutait « Si vous en parlez avec mes amis français, que ce soit (le ministre des Finances) Michel Sapin ou (de l’Economie) Emmanuel Macron, ils ont de longues histoires à raconter sur la difficulté à convaincre l’opinion publique et le Parlement de la nécessité de réformes du marché du travail ». En réaction, même Michel Sapin pris quelques distances avec le propos, regrettant officiellement le vocabulaire employé, mais précisait : « Connaissant bien Wolfgang Schäuble, c’était plutôt une forme d’encouragement ».

Avec le recul, cette déclaration de Schäuble, et les remarques de Michel Sapin (à propos duquel je ne ferai pas plus d’ironie concernant la brutalité) prennent tout leur sens. Qu’importe la volonté du peuple, ils passeront en force, coûte que coûte. Pire même, ils cherchent à mettre en scène leur prétendu autoritarisme, gonflant la poitrine, pour plaire au secteur du patronat le plus rétrograde, ou au segment de la société qui cherche une solution autoritaire au désordre dont ils sont les seuls responsables. Le travail idéologique qu’ils mènent est dangereux. Ils préparent les esprits au coup de force, au mépris de la vie parlementaire. Il faut donc qu’ils échouent. C’est un enjeu social et idéologique pour la suite. Il faut que chute le gouvernement qui agresse le droit du travail, sans la moindre légitimité. C’est pourquoi il faut voter la motion de censure, d’où qu’elle vienne. Si j’étais député, dans de telles circonstances, j’utiliserais le seul outil disponible pour empêcher la loi El Khomri de se mettre en œuvre, concrètement je voterai la Motion de Censure contre l’utilisation de l’article 49 alinéa 3, annoncée par Manuel Valls.

Comme cela peut faire débat, il est nécessaire que chacun des lecteurs de ce blog, disposent de tous les éléments. En remerciant ma camarade Martine Billard, (ex parlementaire aguerrie) qui a éclairé ma lanterne sur les détails, je publie ci-après l’article 49 de la Constitution actuelle :

« Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale.

L’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion de censure. Une telle motion n’est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l’Assemblée nationaleLe vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée. Sauf dans le cas prévu à l’alinéa ci-dessous, un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours d’une même session ordinaire et de plus d’une au cours d’une même session extraordinaire.

Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »

C’est donc le 3e alinéa de cet article qui est employé par Manuel Valls pour piétiner la représentation parlementaire. Comme ceci est écrit très clairement, dans ces conditions le texte est « considéré comme adopté » sauf si une motion de censure est votée. Dans le cas présent, pourquoi s’en priver ? Pour présenter une telle motion, il faut qu’elle réunisse au moins 10% des parlementaires (qui sont actuellement 577) c’est à dire au minimum 58 députés. Si l’on imagine que les 10 députés FDG, s’additionne au 9 députés EELV ou apparentés dans cet objectif (ce qui n’est pas si évident que cela), plus quelques indépendants du type Pouria Amirshahi, on constate qu’il est donc nécessaire qu’il y ait prêt de 38 députés PS dits « frondeurs » qui déposent une telle motion de censure. Certaines prévisions disent qu’il y avait au moins une quarantaine de députés PS nettement opposés à la loi El Khomri, mais il se dit aussi qu’il y en aurait désormais jusqu’à 100. Dans ces conditions, les députés frondeurs ont encore la possibilité de bloquer la loi El Khomri. S’ils n’arrivent pas à déposer leur propre motion de censure, on peut s’interroger sur la sincérité à bloquer réellement cette loi inique. D’autant que je rappelle, que la chute d’un gouvernement en raison de l’adoption d’une motion de censure n’entraine pas mécaniquement la dissolution de l’Assemblée Nationale. Mais, à l’heure où j’écris ces lignes, j’ai peur qu’aucun des députés PS frondeurs n’aient le courage de prendre vraiment ses responsabilités pour bloquer Valls et que même la motion de censure dite « de gauche » soit au-dessus de leur capacité.

Mais je continue mon raisonnement. Quand bien même cette hypothétique motion de censure dite « de gauche » serait présentée par au moins 58 députés, il serait nécessaire ensuite qu’elle soit majoritaire et qu’elle s’adresse aux députés de droite, sans quoi, il ne s’agirait que d’un jeu de rôle sordide.

Dès lors, tirons toutes les conséquences de la démonstration, si d’aventure une motion de censure « de gauche » n’arrive pas à être présentée par les députés FDG, EELV et PS frondeurs, pourquoi alors ne pas voter directement celle présentée par la droite ? A ceux qui me répondraient « pour ne pas mêler nos voix à la droite » je rétorquerai que de toutes façons, dans tous les cas de figures, pour être majoritaire, même une motion de censure dite « de gauche » devra ensuite mêler ses voix à celle de droite. Sinon, elle ne sert à rien. J’invite donc chacun à être conséquent et à prendre la mesure de la gravité de la situation. Il faut voter toutes les motions de censure qui se présenteront, d’où qu’elles viennent. Il n’est pas sérieux de dire que le problème de la motion de censure de la droite est qu’elle a des explications de vote réactionnaires. Ici ce n’est pas le sujet. Personne ne lira ce qu’a écrit tel ou tel députés de droite dans ce préambule. Cela n’engage à rien pour la suite. Il n’est pas question de bâtir un programme de gouvernement. Il s’agit seulement de stopper une offensive qui aura des conséquences sur le sort de millions de salariés. Assez de posture donc. Que les députés qui veulent être utile à ceux qui les ont élus, utilisent les pouvoirs qui leur ont été confié par le peuple, sinon, qu’ils cèdent la place à d’autres.

Une motion de censure de droite à été déposée par 192 membres des LR et de l’UDI hier à 17h15. Pour respecter le délai de 48h il apparaît donc que le vote sur cette motion de censure aura lieu jeudi à 17h15. 289 députés devront voter pour, quel que soit le nombre de présents dans l’Hémicycle. Il n’y a ni vote contre ou abstention possible. Les choses deviennent donc binaires : soit on est pour la motion de censure, soit on est pour la loi El Khomri.

Comme tout le monde, j’ai bien vu que les derniers chiens de garde parlementaires de ce régime, les plus enragés et agressifs, (MM. Caresche, le Guen, Carvounas et compagnie…) étaient particulièrement menaçants dans les médias en direction de leurs camarades de parti. A les entendre, quiconque votera la motion de censure au gouvernement sera exclu du PS et n’obtiendra pas de soutien du PS aux prochaines élections législatives. Certains osent même déclarer qu’il serait choquant, par principe, que des députés PS mêlent leurs voix à celle de la droite. Mais les mêmes (je dis bien les mêmes !), il y a quelques semaines, à l’occasion du débat sur la déchéance de nationalité, proposaient de mêler toutes les voix du PS à celle de la droite la plus dure (après un accord avec les amis de Sarkozy), pour faire adopter une proposition… inscrite dans le programme du FN ! Le cynisme du dernier carré des soutiens au gouvernement est donc sans limite. Je rappelle qu’en novembre 2005, lors des émeutes dans les banlieues, Manuel Valls fut un des rares députés PS à mêler sa voix avec celle de la droite en ne votant pas contre la prolongation de l’état d’urgence. Pire encore, il fait partie de ceux qui théorisent qu’après 2017, il serait bon de gouverner avec la droite, à l’image de ce qu’il se passe en Allemagne. Que les tartuffes se taisent donc.

Ce qu’il nous reste à faire est simple, mais néanmoins difficile. Jeudi 12 mai, à l’appel des organisations syndicales, manifestons dans toute la France contre cette loi. D’autres dates suivront. Une grande vague citoyenne peut encore les faire échouer. Les points de résistances fixés dans beaucoup de villes par les citoyens autour des « Nuits debout » sont toujours importants. J’invite aussi le plus grand nombre à nous retrouver le 5 juin à Paris (Place Stalingrad) au défilé des Insoumis, où Jean-Luc Mélenchon prononcera un discours. La force tranquille du grand nombre est de notre côté. Contre ce gouvernement au service d’une petite oligarchie, regroupons-nous. Nous sommes le Peuple. Notre aspiration à plus de justice sociale et d’égalité est majoritaire.

Un vieux monde se meurt, un nouveau peine à naitre… et dans cette longue décomposition nous assistons à toutes les nuances pestilentielles de la crise…

Dernière minute (17h20) : La tentative de réunir 58 signataires pour déposer une motion de censure dite « de gauche » a échoué. C’est dommage. Il faut d’abord féliciter les 56 courageux qui ont essayer de bloquer ainsi l’adoption de la loi El Khomri (cf. article de Libération). Mais, il est temps que chacun prenne ses responsabilités. Les 56 parlementaires qui ont acquis la conviction qu’il faut faire chuter le gouvernement Valls dispose encore d’une possibilité : voter la motion de censure de la droite. C’est désormais le seul moyen. Puisque les 56 députés de gauche ont prévu de publier leurs noms pour que la démarche soit connue et comprise, ils peuvent aussi publier une déclaration qui explique pourquoi ils votent la motion de censure de la droite, même s’ils ne partagent aucune des explications de vote qui l’accompagnent. Aucun esprit sérieux ne fera la confusion. Nous sommes entrés dans une époque ultramédiatisée où tout se sait. Il n’y a aucun amalgame à craindre. Des sanctions internes au PS peut être. Mais ceci est une autre histoire. Nous sommes entrés dans une période où les caractères comptent. Les postures non. Et ceux qui craignent le « quand dira-t-on solférinien » plus que la colère du peuple, en paieront le prix comme les autres… Je conjure donc les 56 députés qui ont tout essayé ce jour de voter en conscience et de permettre de mettre un terme à l’une des plus grandes offensives contre le droit du travail qu’il ait été mené depuis plusieurs décennies. Vous avez le pouvoir ! Utilisez-le bon sang… ou laissez la place à des femmes et des hommes à la hauteur du moment.