Mon drapeau, mon hommage

En raison d’un problème technique sur mon blog, ce billet n’a pas pu être publié hier. Je vous le propose néanmoins avec un peu de retard. Bonne lecture

Ce vendredi 27 novembre, je suis en deuil. A dire vrai, comme l’essentiel de mes compatriotes, je suis dans cet état depuis le 13 novembre. J’approuve qu’aujourd’hui la Nation toute entière rende un hommage national à toutes les victimes. En plus des cérémonies privées et intimes, organisées par les familles et les amis des défunts, cette journée permet à chacun d’entre nous de s’incliner, selon notre bon vouloir et dans les conditions que nous décidons, devant toutes ces vies tragiquement fauchées. Pas de fausses notes. Aucune unanimité ne doit être imposée.

Je peux comprendre que certains parents et victimes, mêlant colères et adressant des critiques lucides à ceux qui ont exercé des responsabilités, n’aient pas trouvé la force d’y participer aux Invalides. Nul n’a le droit de les juger. D’autant que j’ai lu des phrases poignantes et très intelligentes pour expliquer cette distance. Mais, notre collectif humain a besoin de rites et de symboles, et je veux voir dans cette journée une simple volonté de faire peuple dans le recueillement et l’émotion et je dois avouer que j’ai eu l’œil humide en regardant l’hommage national devant mon poste de télévision. Malheur à ceux qui voudraient récupérer l’émotion qui nous touche. Je reste lucide.

Pour ma part, c’est sans attendre les consignes présidentielles qu’un drapeau bleu-blanc-rouge est à ma fenêtre depuis plus de 10 jours. Personne ne m’a demandé de le mettre. Quelle valeur à mes yeux pour ce morceau d’étoffe ? Voilà bien longtemps, et sans aucune ambiguïté que je me considère comme un patriote républicain. Ici je tiens aux deux termes accolés l’un à l’autre, le premier prenant sens en fonction du deuxième. Oui, patriote républicain, parce que jacobin, socialiste, et même éco-socialiste et encore d’autres termes forgés par la longue histoire du combat pour l’émancipation humaine : la Commune de Paris, les révolutionnaires de 1917, les républicains espagnols, les luttes anticoloniales, l’Unité Populaire de Salvador Allende, etc… Mon Panthéon internationaliste est large, et plein de défaites hélas, sombres et lumineux à la fois. C’est d’ailleurs la dimension XXL de cet internationalisme, après un cheminement intellectuel personnel de quelques années qui m’a fait mieux comprendre la phrase de Jean Jaurès « « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène. » C’est en voyageant à l’étranger que j’ai mieux compris la force de cette sentence, que je jugeais ésotérique durant ma jeunesse militante. Dans beaucoup de pays, et notamment d’Amérique Latine où le nationalisme est assez vif dans la gauche révolutionnaire, l’exemple français de la construction de la Nation lors d’une grande Révolution conduite par le Peuple et proclamant des Droits universels à la face du monde entier, fait encore école. Eux s’inspirent de notre Histoire, et nous aurions des pudeurs pour l’assumer pleinement ? Pas d’accord. Aimer l’un ramène à l’autre.

Voilà pourquoi quand je place un drapeau tricolore à ma fenêtre je le fais pour des raisons claires : ce faisant je proclame « liberté, égalité, fraternité » (devise inventée pour la première fois par Maximilien Robespierre pour la Garde nationale, oserais-je le préciser ?) à quoi j’ajoute « laïcité » qui est en réalité contenu dans le mot de liberté, qui correspondait aussi à la liberté de conscience. Avis à tous ! Mon drapeau est donc politique, révolutionnaire et républicain. Il est aux antipodes d’une conception ethnique, religieuse et territoriale de la France.

A ceux qui ne comprendraient pas mon attachement à la Patrie républicaine, ce jour comme les autres, je leur livre la définition qu’en donnait Saint-Just dans ses Institutions républicaines. C’en est une parmi d’autres : « La Patrie n’a point le sol, elle est la communauté des affections, qui fait que chacun combattant pour le salut ou la liberté de ce qui lui est cher, la patrie se trouve défendue. » Il faut comprendre que chez Saint-Just comme chez Montesquieu ou Mably, l’amour de la patrie doit être subordonné à l’amour de l’humanité et il n’est pas de bon patriote qui ne tienne compte du genre humain. Autre angle, pour dire des choses approchantes, en 1765, voici comment Denis Diderot définissait la Patrie dans son Encyclopédie universelle : « Le rhéteur peu logicien, le géographe qui ne s’occupe que de la position des lieux, et le lexicographe vulgaire, prennent la patrie pour le lieu de la naissance, quel qu’il soit ; mais le philosophe sait que ce mot vient du latin pater, qui présente un père et des enfants, et conséquemment qu’il exprime le sens que nous attachons à celui de famille, de société, d’état libre, dont nous sommes membres, et dont les lois assurent nos libertés et notre bonheur. Il n’est point de patrie sous le joug du despotisme. »

C’est pour cela que mon drapeau qui pend à ma fenêtre est aussi une façon, modeste certes, d’honorer nos morts. Ecoutez son message : Pas de Patrie sans fraternité entre ceux qui la composent. Pas de Patrie sous le despotisme. Que certains de mes amis ne viennent pas me faire la leçon en rigueur anticapitaliste et altermondialiste. Cette journée de recueillement n’altère en aucune façon l’indispensable débat politique qui doit traverser notre pays pour savoir quelles réponses à apporter aux fanatiques religieux et pour refuser le jeu des grandes puissances économiques, au premier rang de laquelle je place les Etats-Unis sur lesquels la France s’aligne, qui ont provoqué la naissance et nourries ce que l’on nomme Daesh. Je crois même qu’il le conditionne en le réinscrivant dans notre longue Histoire nationale. Tous les peuples du monde ont droit à la démocratie, et particulièrement ceux du monde arabe, et leur trop longue attente à bénéficier de ce droit fondamental a réveillé des monstres.

Mon hommage aux morts, dont la moyenne d’âge était de 35 ans à peine, est dans la conviction réaffirmée qu’un autre Monde est possible, est même terriblement nécessaire. Et c’est aussi ce que j’affirme symboliquement en suspendant mon drapeau à ma fenêtre.