Pourquoi je suis contre les statistiques ethniques

La semaine dernière, dans le cadre d’une interview croisée avec la sénatrice EELV Esther Benbassa, le Nouvel Obs m’avait demandé de répondre à quelques questions sur la pertinence des statistiques ethniques. J’y suis opposé. Certaines des réponses ont bien été publié, mais je poste sur mon blog l’intégralité de mon propos. Il s’agissait à ce moment-là de répondre à François Fillon qui s’était déclaré favorable aux statistiques ethniques dans le JDD. En ces temps où une partie de la droite comme Nadine Morano croit pertinent de définir ce qu’est la France en fonction de la couleur de la peau de ceux qui y habitent, j’espère que mes réponses seront utiles à la réflexion.

La droite remet sur le tapis la question des statistiques ethniques, un sujet tabou qui dépasse les clivages gauche-droite mais aussi un vieux serpent de mer. Pourquoi ?

La proposition de François Fillon s’inscrit dans une rhétorique hostile à certains immigrés. Il dit vouloir « ne pas subir une immigration qui ne viendrait que d’une seule région du monde ». « Il faut avoir la possibilité de savoir qui on accueille » affirme-t-il, faussement naïf. Mais tous ces chiffres sont parfaitement connus des pouvoirs publics. Dès lors, les statistiques ethniques ne changeraient rien si ce n’est faire croire qu’actuellement l’immigration est hors de contrôle et que les « vrais chiffres » seraient inconnus ou dissimulés. Vieux discours de l’extrême droite. A les entendre, nous serions envahis par les étrangers et la situation serait quasi hors de contrôle.

Mais les statistiques ethniques sont aussi portées par des gens qui veulent lutter contre les inégalités. Je les distingue de la droite et l’extrême droite. Nos concitoyens issus de l’immigration africaine ou des départements d’Outre-mer sont frappés par des inégalités et même la cible d’une discrimination spécifique. En quoi les statistiques ethniques apporteraient une solution ? La « discrimination positive », idée qui généralement en découle, dans une société de chômage de masse, broierait toute idée d’action collective des citoyens en les invitant exclusivement à revendiquer leur place dans le pourcentage d’emplois statistiquement consenti.

Opposant ou partisans mettent en avant l’exemple des Etats-Unis. Comment l’expliquez-vous ?

Les récentes violences mortelles qu’on subit des citoyens noirs dans les villes de Ferguson, New York ou Cleveland témoignent que cette société est un contre-exemple. Aux Etats-Unis aujourd’hui, les statistiques ethniques sont fragmentées en 14 sous-catégories. Le découpage racial du recensement américain n’a cessé d’évoluer selon les pouvoirs et les intérêts des groupes en présence. Pour quel résultat ?

Avec son baromètre de la diversité, le CSA se livre à un exercice qui s’approche des statistiques ethniques. Comment jugez-vous ce travail ?

Perfectible. En 2008, le CSA révélait que les cadres sont surreprésentés à la TV, avec un taux de 61 % dans les émissions analysées, alors que les statistiques parlent de 15 % de cadres dans la population. Les employés connaissent à l’inverse une sous-représentation, 16 % contre 30 % selon l’INSEE. Pour les ouvriers, même chose : 23 % d’ouvriers en France, et seulement 2 % à la télé. On cache les immigrés car ils font partie du peuple. Le mépris de nos compatriotes issus de l’immigration, notamment originaire de l’Afrique, et le mépris social sont intimement liés.

La France est le fruit d’une mixité historique. N’est-ce pas compliqué d’établir des statistiques ethniques dans les cas où on a un grand-père italien, une grand-mère bourguignonne et de l’autre côté un Espagnol et une Arménienne ?

Depuis quand les catégories raciales ont-elles acquis une valeur objective et scientifique ? Ce sont des catégories forcément subjectives et idéologiques. Les races au sens scientifique du terme n’existent pas. La couleur de peau est une appréciation relative. La religion, la langue ou la culture de la région d’origine sont hautement volatiles à l’intérieur d’une génération et entre elles. Pourquoi privilégier un critère plutôt qu’un autre ? A combien de générations faut-il remonter pour valider l’appartenance à tel ou tel groupe ethnique ? Les maghrébins ne sont pas tous arabes, les arabes pas tous maghrébins, les musulmans pas tous arabes et les arabes pas tous musulmans. Un comptage ethnique me séparerait sans doute de mes propres enfants. Donc, fondamentalement, la question n’est pas d’où nous venons, mais où nous voulons aller ensemble.

Nous disposons d’outils contre la discrimination et, en finalement, ils sont très peu utilisés, comme on le voit avec les CV anonymes ou le testing.

Le CV anonyme, tout comme, pour améliorer les relations avec les services de police, les récépissés lors des contrôles, seraient bienvenus. Dans les ZEP, établies en fonction du revenu social des gens, on doit mettre des moyens importants. Là où se concentre des difficultés sociales, vous trouverez nos concitoyens issus de l’immigration. Tout cela est basé sur des critères sociaux clairs. Mais je répète que sans un changement profond de politique économique, c’est insuffisant.

La France dont la Constitution interdit toute distinction d’origine voit son idéal républicain mis à mal avec des jeunes qui se sentent exclus de l’identité française et se protègent en mettant en avant leurs origines.

Le débat sur les statistiques ethniques confronte à un choix de civilisation. Dans le modèle libéral anglo-saxon, on réduit l’identité de chacun à son particularisme réel ou supposé. Dans le modèle républicain, on valorise ce qui est en commun et on cherche à dépasser ce qui différencie par un plus grand partage. Chacun reconstruit ainsi son identité par ses échanges avec la société dans son ensemble. Ce sont des manières radicalement différentes de penser la vie en société.

27 septembre 2015 – « Un pays judéo chrétien et de race blanche » a-t-elle dit ? Ou la France antirépublicaine de Nadine Morano

ET hop ! Plus fort que le FN ! Drôle d’ambiance hier soir sur le plateau de « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier sur France 2. L’invité Geoffrey Lejeune, rédacteur en chef de Valeurs actuelles, l’hebdomadaire de droite extrême qui se radicalise chaque semaine en peu plus, et qui souhaite qu’Eric Zemmour devienne le prochain Président de la République, est presque apparu pour un modéré philanthrope. Pourquoi ? La députée Nadine Morano, candidate à la candidature à l’élection présidentielle de 2017 pour Les Républicains était elle aussi invitée. C’était même l’invitée principale. Au cours de sa longue interview elle a consacré la grande majorité de son propos à répéter plusieurs fois avec gourmandise que la France est « un pays judéo chrétien et de race blanche ». Elle a même ajouté : « je n’ai pas envie que la France devienne musulmane, car dans ce cas, ce ne serait plus la France ». Voilà ce que l’on entend en 2015 dans l’une des principales émissions du service public, qui rassemble en général plus de 1,3 millions de téléspectateurs. En écrivant cela, je ne conteste pas que les deux chroniqueurs Léa Salamé et Yann Moix aient ferraillé avec Nadine Morano, avec plus ou moins de pertinence mais c’est un autre sujet, et ont même été manifestement choqué par ses propos. Mais tout de même, quel spectacle très révélateur d’une époque audiovisuelle et politique.

Mais, qui dira à cette parlementaire que la France est une République laïque et universaliste ? C’est cela qui fonde ce pays en 2015. Mme Morano a-t-elle oublié l’article 1er de la Déclaration universelle des Droits de l’homme et du citoyen proclamée en 1789 qui fait partie du bloc de constitutionnalité de notre pays « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » J’ai beau le relire plusieurs fois cet article je ne vois aucune mention à la couleur de la peau de nos compatriotes. Ai-je mal lu ?

Quant à la religion, lisons ensemble l’article 10 de cette même déclaration : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. » Est-il question d’une majorité ou d’une minorité religieuse ? Où est mentionné le fait que la France doit rester « judéo chrétienne » ? Nulle part. Et puis, est-il encore possible de dire que la majorité de nos concitoyens lorsqu’ils sont interrogés se disent « sans religion », ce qui fait une drôle d’exception française dans le monde, dont personnellement je suis assez fier. Pourquoi alors évoquer des religions quand on veut définir ce qu’est la France ? Cette obsession confessionnelle portée par de plus en plus de responsables politiques est devenue dangereuse.

Pour qui sait lire, les provocations de Mme Morano sont donc radicalement contraires à ce qui fonde notre Nation, à son identité républicaine. Elles en sont même l’antithèse. Cette parlementaire de droite peut rêver d’un pays où une religion doit rester majoritaire et une autre minoritaire, fixant là une bien curieuse hiérarchie, mais ce pays hors du temps de l’ex ministre de Nicolas Sarkozy n’est pas la France. Moi, je préfère bâtir sans relâche un pays laïque où la religion des citoyens reste une affaire privée, et qu’ils peuvent pratiquer librement, et où c’est l’égalité en droits et l’égalité sociale qu’il faut assurer.

Enfin, concernant la couleur de la peau de nos concitoyens, on est là dans une hiérarchie directement empruntée au colonialisme à la papa. Comment lui démontrer ? Lorsque Nadine Morano se rend dans les DROM et les TOM, dans lesquels habitent près de 2,8 millions de nos concitoyens pense-t-elle que ce n’est pas la France dans la mesure où ce ne sont pas nos concitoyens « à la peau blanche » qui sont majoritaires ? A-t-elle alors prévu de donner l’indépendance à ces régions ? Mais plus sérieusement, qui ne voit pas l’abjection qu’il y a considérer que la couleur de la peau est un facteur de distinction entre nous et qu’il y aurait un enjeu à veiller à ce que ce soit un certain type de pigmentation qui reste majoritaire sur le territoire de France ? Par pudeur, je mets d’ailleurs de côté le caractère grotesque de l’inquiétude de Mme Morano et des obsédés de la peau claire dans la France de 2015. Un simple coup d’œil à l’Assemblée nationale, dans les conseils d’administration des entreprises où dans tous autres lieux de pouvoirs, attestera qu’ils sont loin d’être en position de marginalité.

Pour finir, fière de ses saillies antirépublicaines, Nadine Morano s’est plusieurs fois prévalue de la parole du Général de Gaulle. Allons dans le détail. Où trouve-t-on cette phrase ? Certainement pas dans une déclaration publique de Charles de Gaulle mais dans un des trois tomes « C’était de Gaulle » signés d’Alain Peyreffite et publiés entre 1994 et 2000 soit près de 25 ans après la mort du « général ». On peut donc avoir un sérieux doute sur la qualité de ces propos rapportés, ces indiscrétions volées, près d’un quart de siècle après le décès de son auteur et soi-disant prononcé le 5 mars 1959 ! D’autant qu’à l’époque où Peyreffite publie ces mémoires, il plaide dans les colonnes du Figaro pour un rapprochement avec le FN qui s’est installé dans le paysage politique français. On peut donc estimer que la façon dont il décrit De Gaulle est une pièce supplémentaire dans son argumentaire et que le passé sert à justifier le présent.

Mais surtout, relisons la totalité de la citation qu’Alain Peyreffite attribue à De Gaulle : « C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. Qu’on ne se raconte pas d’histoire ! Les musulmans, vous êtes allés les voir ? Vous les avez regardés avec leurs turbans et leurs djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français. Ceux qui prônent l’intégration ont une cervelle de colibri, même s’ils sont très savants.

Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveauLes Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisions l’intégration, si tous les Arabes et les Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherez-vous de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées. »

Autant de mépris et de clichés devraient plutôt amener les pseudo héritiers du gaullisme à oublier cette longue citation approximative et pitoyable et non s’en revendiquer. A moins de considérer que pour lutter contre les idées d’extrême droite, la droite devrait parler comme l’extrême droite. Si c’est cela, la République est en danger et ce sont des gens comme Nadine Morano qui la menacent. La France de Morano c’est le rêve des fanatiques religieux de tout poil, combattants illuminés d’un choc des civilisations partout, de Charlie Hebdo à Kobane, de l’Hyper Cacher à la Syrie. La réponse des français doit rester : « République ! Fraternité ! Laïcité ! Egalité !»