Réponse au « Traité d’injurologie » de Michel Onfray… ou comment les sans-culottes valent mieux qu’un sans-jugeotte !

Je publie après cette introduction la tribune « Adieu à Onfray » que nous avons rédigé avec Jean-Luc Mélenchon, pour l’hebdomadaire Le Point de cette semaine. Cela se voulait une réplique aux six longs articles que le philosophe Michel Onfray avait publié cet été dans le même média.

 

Il s’agissait pour nous de ne pas laisser sans réponse le sidérant parti pris idéologique d’Onfray. Ce dernier fait désormais partie des gens qui ont pignon sur rue, sachant parfois d’ailleurs dire des choses fort justes que je partage, mais qui, stylo en bandoulière utilise frauduleusement l’histoire de la Révolution Française (mais pas seulement) pour n’en présenter qu’une face hideuse et repoussante où le Peuple n’est toujours qu’un acteur menaçant et sanguinaire et où la part lumineuse ne revient qu’à ceux qui défendaient le projet économique le plus libéral. A force de déformation des faits historiques, à ceux qui clament qu’un autre monde est possible, Michel Onfray fait peur à ses contemporains et répond que l’Histoire nous enseigne qu’un autre monde est dangereux, surtout si c’est le Peuple qui conduit les évènements.

Ainsi, dans ses six longs articles, faussement nommés Contre-histoire de la Révolution française, il ne fait que calomnier ce mouvement populaire, ferment de la Révolution, et cible avec obstination tous ceux qui ont soutenu ses aspirations sociales et égalitaires, essentiellement le courant jacobin, dont le plus célèbre fut Maximilien Robespierre.

Pour atteindre ce but, il se dissimule par ruse derrière la cause des femmes, sujet aujourd’hui largement étudié par les historiens sans qu’ils aient attendu le médiatique philosophe. Cela ne l’empêche pas de vouloir se présenter en pionnier sur cette voie. Mais, il ne s’agit là que d’un subterfuge littéraire et les cinq femmes dont il dresse les portraits approximatifs ou franchement erronés, plus ou moins proches des idées girondines, ne sont que prétextes pour son entreprise de réécriture de la Révolution française. Pour cela il puise chez les historiens les plus réactionnaires et les plus farfelus. Il ne propose pas, contrairement à ses affirmations, un contre-récit audacieux et marginal, mais un discours dominant, celui des dominants d’hier et d’aujourd’hui. Et il le fait à présent en entreprenant de réhabiliter les grandes figures girondines.

Si j’alimente ce débat, conscient qu’une actualité plus brûlante existe, c’est qu’il y a dans cette controverse des enjeux contemporains politiques, culturels… et donc idéologiques au sens noble du mot. Que ceux qui ne comprennent pas l’importance de ces batailles passent leur chemin et aillent lire ailleurs. Je suis désolé et ne veut pas leur faire perdre de temps. Ils trouveront notamment sur le site du Parti de Gauche le compte rendu de toutes les luttes sociales et écologiques que nous menons. Mais sur ce blog, avec mes modestes moyens, je me consacre aussi par quelques billets à occuper le front d’une riposte intellectuelle, notamment sur le champ historique, en tenant tête à ceux qui la mènent avec des idées hostiles à toutes transformations sociales réelles. Je suis bien conscient de toutes mes faiblesses, dues à mes moyens limités, et je sais que je ne suis pas le seul à mener ce combat. Mais j’y participe à ma manière. Je résume une nouvelle fois l’enjeu de toutes ces polémiques par une formule. Il fut un temps ou le politologue Jacques Julliard répondait à la question « Qu’est-ce que la gauche ? » de la façon suivante : « C’est le parti de la Révolution Française ». Si la phrase reste vrai à mes yeux, elle illustre aussi crument qu’en 2015, contrairement à l’époque où Julliard disait cela, des partis et des gens qui se réclament de la gauche (je pense essentiellement à la majorité du PS mais pas seulement puisqu’Onfray y participe..) s’emploient à mépriser la Révolution Française, à en déformer le sens, à gommer sa dimension populaire, à ridiculiser ses principaux dirigeants, à ne la transformer qu’en un gigantesque moment de brutalité honteuse, à n’y voir que l’annonce des totalitarismes du 20e siècle… Voilà ce qu’ils veulent faire les si médiatisés Onfray, Deutsch, Ferrand, Bern et compagnie…. Et je suis en radical désaccord avec cette entreprise idéologique qui ne fait que contribuer au mépris de notre histoire républicaine et révolutionnaire.

Avec Jean-Luc Mélenchon, notre tribune abordait donc les enjeux du désaccord et soulignaient les erreurs historiques de Michel Onfray, que tant d’historiens spécialistes de la Révolutions pointent avant nous (n’est-ce pas Guillaume Mazeau, Jean Clément Martin, Florence Gauthier, Marc Belissa, Yannick Bosc, Mathilde Larrère, Cécile Obligi, Hervé Leuwers, Claude Mazauric, et tant d’autres ?).  Peine perdue. L’échange a tourné à la fusillade dans le dos. Et la joute proposée par l’hebdomadaire a viré au coupe gorge.

A la lecture de sa « réponse » (cliquez ici), ou devrais-je dire de sa brouette d’excréments, il est navrant de constater qu’Onfray ne tient compte d’aucune de nos remarques et utilise immédiatement la calomnie ordurière visant Jean Luc pour esquiver. Décidémment, le style c’est l’homme. Ainsi selon Onfray, la pensée de Mélenchon, « anticommuniste quand il était trotskyste » (comment est-ce possible, si ce n’est dans une lecture stalinienne de l’Histoire ?), marquée par son soutien au Traité de Maastricht en 1992 (sur lequel Jean Luc s’est expliqué depuis 1994 comme étant une erreur… et à la même époque Onfray participait à la revue de BHL !) est « la gauche des barbelés ». Rien que ça. Elle serait celle qui soutient Poutine (ah ? où ?) et « Ahmadinejad (qui voulait rayer Israël de la carte) ».

Cette méthode est dégueulasse. Je mets au défi par exemple Onfray de trouver dans la bouche ou sous la plume de Jean-Luc Mélenchon la moindre forme de soutien à Ahmadinejad et son régime théocratique… Jamais. C’est même l’inverse. Si l’omniscient Onfray c’était un minimum renseigné il saurait que Mélenchon est l’un des rares hommes politiques français à avoir pris position contre la répression des Moudjahidine du peuple qui luttent pour un régime démocratique et laïque en Iran. Mais là encore, notre philosophe s’en fiche, il fallait seulement sous-entendre que nous serions complaisant vis à vis de l’antisémitisme (je souligne au passage que ma situation de cosignataire n’est jamais évoqué par Onfray, sans doute car je ne représente rien aux yeux du « grand philosophe » … élégant, non ?). Tout le reste de la réponse d’Onfray est de la même boue balancée à grande giclée. Le mépris est vertigineux, sidérant… Le pire étant la référence à l’ancien Khmer rouge Suong Sikoen, qui selon une interview du Monde en août 2014 apprécierait le personnage de Robespierre. Donc, pour Onfray la boucle est bouclée, c’est la preuve que « l’incorruptible » est le responsable des crimes de masses ayant assassiné 1,7 million de cambodgiens presque 2 siècles plus tard ! CQFD. C’est affligeant comme argument. Adolf Hitler a dit avoir de l’admiration pour Napoléon. Donc, quiconque défend le rôle historique de Napoléon est-il un nazi en puissance ? Et ainsi de suite. Absurde vous dis-je, et éculé puisque Bertrand Delanoë a utilisé exactement le même argument contre moi il y a cinq ans au Conseil de Paris. Cela me rappelle qu’en 1989, dans un de ses livres Le ventre des philosophes, Onfray faisait un lien entre Hitler et saint-Just car les deux étaient… végétariens ! Délirant. Mais ce n’est pas tout. Onfray conclue sa pitoyable charge par un feu d’artifice de sottises : selon lui les principales figures de l’extrême droite française de ‘entre deux-guerres aimaient Robespierre… donc si tu ne calomnies pas Robespierre c’est que tu es un fasciste potentiel. Pauvre type. Sait-il que dans les mêmes années 30, toute la gauche française, PCF et SFIO manifestait contre le fascisme le 14 juillet 1935 en brandissant des portraits de Robespierre ? Sait-il que Jean Jaurès appréciait aussi Robespierre ? Eux aussi, tous des fascistes ?

Décidemment, M. Onfray vous êtes tombés bien bas… sans doute à court d’argument sitôt qu’on vous entraine sur le terrain historique et à la confrontation des faits, vous êtes moins philosophe qu’injurologue.

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Voici la tribune de nous avons cosigné Jean-Luc Mélenchon et moi.

L’adieu à Onfray

Comme nous étions nombreux à aimer ce qu’il disait ! Comme nous avons été enthousiaste de son université populaire, de son dictionnaire de l’athéisme, de sa réhabilitation des philosophes matérialistes. Puis, nous l’avons vu glisser d’émission en émission jusque sur la berge peuplée où courent les chiens de garde. Après avoir voté Besancenot en 2007, en 2012 il avait déjà accepté de faire le tireur dans le dos pour le Nouvel Obs. Il appelait à voter blanc, ne pouvant ni voter Hollande, ni Sarkozy et surtout pas pour le Front de gauche à cause de Robespierre… déjà !

Le voici qui vide la mémoire de son sens. Le récit de la Révolution Française aurait été confisqué par de brutes marxistes infectées de stalinisme. Onfray arrive et nous révèle la vérité : la Révolution de 1789 a été faite par des femmes, toutes girondines, toutes ennemies du sang et de la violence, toutes condamnées à mort par Robespierre.

Voici recommencée l’erreur que commentent tant de cuistres. Trier dans les faits et les êtres impliqués dans le tremblement de terre qui ouvrit l’ère moderne, selon le mot de Goethe ! Clemenceau l’a dit une fois pour toutes à notre avis : « la révolution est un bloc ». On ne trie pas. On doit seulement comprendre dans les conditions de l’époque l’exploit qu’a été la conduite victorieuse d’un bouleversement historique que personne n’avait entrepris avant cela.

Voici donc cinq femmes mises en portrait pour servir la cause d’Onfray. Malin et tellement mainstream ! Oui les femmes ont fait les moments clefs de la grande révolution. Mais surtout pas dans le sexisme genré qu’avouent les lignes d’Onfray. Non ce n’était pas de purs esprits, de gentilles mamans ou de délicates mains blanches qui refusaient la violence. Les jeunes femmes de 16 à 25 ans les bras chargés d’enfants qui marchèrent sur Versailles pour ramener de force le roi à Paris y tuèrent un cheval pour le manger et quelques gardes royaux qui encombraient leur chemin.

Mais pour Onfray il y a femme et femme. Voyez comment il présente la compagne de Marat qui filtre l’accès à « l’ami du peuple » comme une « mégère ». Ce mépris pullule sous sa prose. Pour lui, les femmes du peuple ne peuvent être que des tricoteuses, qui se repaissent du spectacle des condamnés que l’on mène à la guillotine. Il renoue avec un imaginaire extrêmement stéréotypé dans lequel la femme ne peut être qu’une martyr « vierge » comme Charlotte Corday, ou une furie monstrueuse à la sexualité débridée et menaçante, quand elle vient du peuple. Quel cliché !

Pourtant, voyez Pauline Léon et Claire Lacombe fondant la Société des républicaines révolutionnaires ni pour faire du tricot ni pour gazouiller de doux libelles comme les apprécieraient Onfray ! En mars 1792, elles présentèrent une pétition demandant la permission d’organiser une garde nationale féminine ! Armée !

Cette cause des femmes, qui sert de paravent aux attaques d’Onfray, fut-elle défendue par les girondins ? Absolument pas. Le philosophe girondin Condorcet ne fut favorable au droit de vote des femmes que dans le cadre d’un suffrage censitaire exclusivement réservé aux propriétaires : pour lui, comme pour Olympe de Gouges d’ailleurs, seules les femmes propriétaires devaient pouvoir voter. Mais, lorsque les luttes politiques imposent le suffrage universel, il essaye alors de mettre en place un dispositif électoral qui peut le contourner et n’évoque plus le vote des femmes. La Constitution dite « girondine » dont il est le maître d’œuvre n’attribue pas non plus ce droit de vote aux deux sexes. Enfin, Onfray néglige de dire que Robespierre organisa le droit de vote des femmes, dans les si importantes assemblées de villages décidant du sort des communaux en 1793 et 1794. Il tait également la parole de Saint-Just : « Chez les peuples vraiment libres, les femmes sont libres et adorées. »

Les girondins, ce groupe politique traversé de contradictions et un temps majoritaire à l’Assemblée nationale, serait donc la pureté incarnée de la Révolution Française ? De grands humanistes qui détestaient la violence ? Non. Ils sont justes à l’origine de la guerre déclarée le 20 avril 1792 au reste de l’Europe. C’est cette guerre qui fera tant de mal à la Révolution. C’est cette guerre qui a entraîné les mesures répressives, et finalement la radicalisation du peuple qui entreprit de lui-même le massacre des opposants sans que les ministres girondins ne fassent rien, et qui permis à Danton, et non à Robespierre opposé à cette guerre, de créer le tribunal révolutionnaire !

Enfin rappelons que ces girondins adulés par Onfray n’étaient pas de purs esprits mais des propriétaires féroces. C’est eux qui demandèrent la peine de mort contre quiconque proposerait une loi agraire, s’acharnant à faire appliquer leur politique économique libérale par une loi martiale. Elle devait assurer par la force la liberté illimitée du commerce des grains qui faisait tant souffrir le peuple affamé. Le tribunal révolutionnaire, les comités de surveillance, le comité de salut public : toutes les institutions de ce que l’on nomme « La Terreur », évoquées par Onfray sans aucune contextualisation historique, sont toutes créées sous la Convention girondine. Mais cela ne cadre pas avec le récit d’Onfray, ennemi du peuple en mouvement, amis des nobles dames élégantes qui assassine dans les baignoires.

Pour Onfray, Robespierre et les montagnards étaient des démagogues qui instrumentalisaient le peuple contre les girondins sans politique sociale. Mensonge. C’est après la chute des Girondins à l’issue des journées révolutionnaires du 31 mai et du 2 juin 1793, que la Convention peut mettre en œuvre un certain nombre de revendications du mouvement sans-culotte comme la liquidation définitive du système féodal et combien d’autres mesures sociales.

Mais tout cela n’intéresse pas Michel Onfray.

Lecteurs, amoureux de l’histoire : la grande Révolution est un tout. C’est le socle de notre appartenance commune à la Nation française. Elle enseigne que la solution aux impasses de l’histoire c’est l’action du grand nombre.