Alexis Corbière, député France insoumise de la Seine-Saint-Denis et enseignant de profession, dénonce la « ségrégation » apparue au sein de l’école publique, qui « fait le lit du repli identitaire et religieux ».
« ‘L’école […] est attaquée et notre capacité à intégrer est remise en cause’. Qui parle ainsi? Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, dans les premières pages de son court ouvrage, Le Séparatisme islamiste (Éditions de l’Observatoire). Un tel constat mérite que l’on s’y arrête. Mais la plus brutale attaque que subit notre école est-elle celle de ce séparatisme islamiste aux contours bien difficile à définir? Si notre école va de plus en plus mal, à qui la faute? Cent trente-neuf ans après les grandes lois Jules Ferry, force est de constater que nos écoles sont désormais la caisse de résonance des terribles inégalités sociales et urbaines, peinent à les corriger ou les reproduisent. Le financement public des écoles privées, depuis 1959 et la loi Debré, n’y est pas pour rien.
Ce financement public du privé, essentiellement confessionnel, coûte 12 milliards d’euros par an au contribuable. C’est 20% du total des recettes de l’impôt sur le revenu. Et tout cet argent dépensé renforce le creusement des inégalités, les établissements privés accueillant deux fois plus d’élèves d’origine sociale favorisée que ceux du public. Ce phénomène est en constante aggravation : chaque année, la part d’élèves issus de milieux défavorisés augmente dans le public et recule dans le privé. À Paris par exemple, un quart des élèves scolarisés dans les collèges publics sont issus de familles défavorisées. C’est six fois plus que dans les collèges privés.
La motivation hors du commun des enseignants ne suffit plus
En plus de cette concurrence entre public et privé, une autre ségrégation est apparue, cette fois au sein même de l’école publique. En effet, selon le quartier où ils se situent, les établissements n’accueilleront ni la même population, ni les mêmes équipes pédagogiques. Ici les meilleurs élèves, issus de milieux bourgeois, encadrés par des enseignants en fin de carrière et installés dans des locaux bien entretenus. On y recense 30% à 50% de mentions bien et très bien aux examens de fin de cycle. Là les élèves en difficulté, avec de jeunes profs et des équipes peu expérimentées, placés dans des bâtiments dégradés. On y atteint péniblement 13% de mentions bien et très bien. Les dérogations à la carte scolaire, devenues légion dans certaines communes, empêchent toute correction, même mineure, de ce séparatisme qui ne dit pas son nom.
Nos enseignants travaillent sans réserve pour corriger ces inégalités criantes. Mais leur motivation hors du commun ne suffit plus.
La progression des écoles privées et l’instruction en famille puisent leur source dans ce délabrement organisé de l’école publique
Il faut mettre un terme à la dimension systémique de ces inégalités qui séparent de plus en plus nos concitoyens selon leur origine sociale et leur lieu d’habitation. C’est ce que je nomme par provocation le « séparatisme scolaire ». À quoi bon légiférer sur des choses anecdotiques quand on laisse chaque année plus de 100.000 de nos enfants, surtout ceux des milieux populaires, finir leur parcours scolaire sans diplôme? Pourquoi accepter que la classe sociale d’origine détermine les conditions d’apprentissage futures? Cet aveuglement fait le lit du repli identitaire et religieux. La progression des écoles privées et l’instruction en famille puisent leur source dans ce délabrement organisé de l’école publique.
Il ne s’agit pas ici de faire des reproches aux familles qui font le choix de l’école privée, ou d’autres modes d’instruction, pour leurs enfants. Les parents ne sont donc pas à blâmer : beaucoup veulent simplement le meilleur pour ceux qu’ils aiment. Le système et les politiques qui provoquent cela ont tant abîmé l’école publique dans les villes populaires. Parce qu’il ne dit pas un mot de tout cela, le texte du gouvernement est essentiellement posture et diversion.
Retrouvez ci-dessous un extrait de mon discours sur le séparatisme scolaire :
Retrouvez ci-dessous mon discours en intégralité, dans lequel j’ai exposé la position du groupe parlementaire La France insoumise sur le projet de loi principes républicains.
Le régime concordataire, créé par Bonaparte et toujours en vigueur en Alsace et en Moselle, qui reconnaît, organise et finance certains cultes sur fonds publics, n’est-il pas aujourd’hui un archaïsme dans une France laïque ? « L’Obs » a sollicité l’avis du député Alexis Corbière (LFI).
Le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle ont été allemands de 1871 à 1918. De ce demi-siècle, la région a conservé une législation en partie distincte de celle du reste de la France : deux jours fériés de plus, une meilleure couverture maladie, etc. Mais le particularisme juridique le plus connu est le maintien du Concordat instauré par le Premier consul Bonaparte, pas encore Napoléon Ier, en 1801. En vertu de ce régime, les prêtres et les pasteurs – ainsi que les rabbins depuis 1830 – sont des fonctionnaires rémunérés par l’Etat.
Lorsqu’en 1905 la loi de séparation des Eglises et de l’Etat abroge ce système, l’Alsace-Moselle, alors encore allemande, n’est pas concernée. La laïcité, d’accord, mais laquelle ? (Pour le moment, il y en a eu trois différentes). En 1924, le Cartel des gauches, hostile au clergé, souhaite abolir le Concordat, mais renonce face à la levée de boucliers des catholiques. Ce voeu ancien, déjà inscrit au programme de Jean-Luc Mélenchon aux présidentielles de 2012 et 2017, refait surface à l’occasion du projet de loi sur le « séparatisme ». Il est formulé par Olivier Faure, le premier secrétaire du PS (tollé dans son parti !), mais aussi par les dix-sept députés de La France insoumise, dont l’un des amendements déclare que la loi de 1905 est «applicable sur l’ensemble du territoire de la République ». Dans l’exposé des motifs, les élus LFI soulignent que le Concordat coûte près de 60 millions d’euros par an, et regrettent que beaucoup de contribuables « doivent payer pour des cultes qu’ils ne pratiquent pas ou qu’ils réprouvent ». Mais, dans la région, maintenir le statu quo est un souhait bien ancré. Le débat risque de durer encore longtemps.
Pour Alexis Corbière, « La foi ne peut relever du financement public » Pourquoi vouloir abolir le Concordat d’Alsace-Moselle ? Est-ce si grave qu’il existe un espace en France où la laïcité n’a pas cours ?
Actuellement, certains mots, comme « laïcité », sont tordus et manipulés. Aussi, il faut promouvoir nos principes républicains de façon cohérente : aucun citoyen ne peut revendiquer un particularisme, notamment basé sur sa foi, pour échapper à la loi. La laïcité, c’est la séparation des Eglises et de l’Etat. Pourquoi, dès lors, la refuser dans trois départements comme le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et la Moselle, où vivent près de 3 millions de personnes ? En plus d’un principe piétiné, ce privilège accordé à certaines religions coûte aux contribuables près de 60 millions d’euros chaque année. Je réclame également la suppression du statut de Charles X [roi de 1824 à 1830] en Guyane, où seul le culte catholique est financé sur fonds publics, ainsi que d’autres exceptions, dans les outremers, notamment à Mayotte. L’Alsace- Moselle a conservé d’autres particularité : sécurité sociale avantageuse, jours fériés, etc.
Toucher au Concordat ne risque-t-il pas de remettre en cause ces acquis sociaux ?
Non, les acquis que vous évoquez sont issus du droit bismarckien, différents du Concordat napoléonien de 1801. Et ces droits sociaux avantageux s’appliquent à tous les citoyens de ces départements. Le Concordat, lui, ne concerne pas toutes les religions : seuls les prêtres, les pasteurs et les rabbins sont payés par les deniers publics. Sont « oubliés » les 100 000 musulmans d’Alsace-Moselle. Fidèle à 1905, je propose de ne financer aucun culte. Après la guerre de 14-18, le sujet pouvait être sensible, mais on est un siècle plus tard, bon sang ! Je m’étonne surtout que certains de mes contradicteurs invoquent une exception au nom de la tradition ou du droit local. A ce compte, n’importe qui pourra proclamer « Moi aussi, j’ai mon histoire, ma tradition, ma religion spécifique », et revendiquer de ne plus respecter la loi de 1905.
N’y a-t-il pas d’autres priorités politiques en 2021 que l’abolition du Concordat ?
Sans doute, mais c’est le gouvernement qui organise un débat sur son projet de loi fumeux concernant le « séparatisme », dans lequel il veut notamment conforter certains aspects de ce statut d’exception. C’est donc l’occasion d’en reparler. 1905 est une loi de liberté et d’émancipation bonne pour tous. Elle garantit la liberté de conscience et donc la liberté de culte. Dès lors, la foi est une affaire privée, qui ne peut relever du financement public. Il est temps que ce principe s’applique partout, pour tous.
Ce soir, je suis intervenu dans l’hémicycle pour défendre la position de la France insoumise lors du débat sur le projet de loi principes républicains.Vidéo de mon discours et extraits :
Aucun régime politique durable ne s’imposa jamais dans le coeur des peuples par la force, mais toujours par l’amour de ses principes. Oui, tout républicain doit agir constamment pour faire aimer la Republique et donc ses principes fondateurs. Cette tâche de conviction ne peut pas être une succession de vexations et de suspicions envers certains de nos concitoyens et leurs associations cultuelles, au nom d’une complaisance, finalement jamais démontrée, avec des actes terroristes.
Où est la recherche de l’adhésion du citoyen, qui devrait passer par le renforcement de droits acquis ou l’acquisition de nouveaux droits dans votre texte quand, par exemple, un tiers des articles renforcent les dispositifs de contrôles ?! Etrange paradoxe : rarement nos gouvernements successifs ne se sont autant réclamés, jusqu’à l’ivresse des mots, de la République et de la laïcite, et jamais leurs politiques ne s’en sont autant éloignées !
Si la République a de vrais ennemis armés, notamment ceux qui l’attaquent au nom d’un islamisme politique violent et obscurantiste, il n’y pas qu’eux qui s’arment contre elle, l’extrême droite aussi veille ! La République a aussi de faux amis qui ne cessent de parler bruyamment en son nom mais qui la détruisent de l’intérieur, notamment au nom de politiques ultra libérales qui creusent les inégalités sociales et font douter de la République…
La nature a horreur du vide, idem en politique. Or, quand la République recule, le vide politique et social laissé se remplit progressivement de règles autres que les lois, qui ne bâtissent plus du commun mais qui enferment le citoyen. C’est vous, via ce texte, qui faites le lien entre des pratiques confessionnelles rigoristes et les attentats. Pour que le débat qui s’ouvre ne soit pas l’occasion d’un grand déversoir de propos intolérants, il faut préciser les mots. Liberté, Egalité, Fraternité telle est notre devise nationale. Une République démocratique, sociale et laïque comme l’affirme notre Constitution depuis 1946. Ces trois principes avancent ensemble : si vous en oubliez un, les deux autres n’ont plus aucun sens.
Où est la République démocratique quand le pouvoir se concentre comme jamais entre les mains d’un monarque présidentiel élu tous les 5 ans ? Quand la grande majorité de nos concitoyens ne vient plus voter aux élections intermédiaires ? Où est la République sociale quand notre pays compte bientôt 10 millions de personnes sous le seuil de pauvreté, soit 15 % de la population et que ce nombre effrayant continuer à augmenter ? Condition de la liberté de conscience, du droit de croire et de ne pas croire, la laïcite garantie la liberté de culte, et bien sûr aussi le droit de critiquer ces cultes, certes.
La laïcite, après des siècles d’alliance néfaste entre le pouvoir temporel et spirituel est donc la stricte séparation entre l’Etat, chose commune à tous, et les Eglises. Clin d’oeil de l’Histoire, son acte de naissance est « un séparatisme ». L’Etat doit donc veiller à assurer sa neutralité et celle de ses représentants, ses fonctionnaires et donc des élus. Mais la laïcité doit laisser les citoyens tranquilles, qui n’ont pas à respecter les mêmes principes de neutralité. La Laïcité n’est ni l’athéisme, ni l’anticléricalisme d’Etat, attitude encore plus odieuse quand elle est le prétexte d’acharnement de la part d’une laïcité mal comprise envers un culte et de complaisance envers d’autres.
En conséquence enfin, parce qu’ils sont distinctement séparés l’un de l’autre, l’Etat républicain n’a à financer aucun culte. Où est la grande laïcité de 1905 ? piétinée ! Votre laïcite est à géométrie variable ! Voilà la paradoxe que vous nous présentez : vous appelez aux « Respect des Principes Républicains » dans les intitulés de votre PJL… vous les piétinez dans vos politiques économiques et sociales et ne comprenez pas ce que doit être la laïcité. Votre texte n’est finalement qu’un mélange confus de mesures exprimant un état d’esprit entre affichages et fichage. Votre texte est prolixe sur des points depuis longtemps déjà interdits par la loi ! Votre texte est silencieux et sans courage devant des terribles problèmes qui s’aggravent, comme le chômage, la dégradation des services publics, la précarité ou l’affaiblissement de notre système de santé public ! Enfin, votre texte est aussi suspicieux contre un culte et contre les associations cultuelles qui l’organisent ! J’ai nommé les Musulmans.
Nous devrions aider le milieu associatif plutôt que de le pointerdu doigt ! C’est lui souvent le dernier réseau de liens républicains. Pourquoi vouloir les contraindre à adopter une charte qui sera sans doute d’une efficacité douteuse. Les associations cultuelles seront davantage contrôlées et, pour parler clairement, suspectées. Cela visera quasi exclusivement les associations du culte musulman qui devront s’organiser de façon plus « démocratique », exigence pleine de condescendance. L’esprit de la loi de 1905 est une vision libérale des religions, de libre organisation du culte. Pourquoi allons nous donc demander à des associations cultuelles de s’organiser différemment ? Vous étendez ensuite les possibilités de dissolution administrative sans passer par la justice. Cela nous pose fondamentalement problème ! Oui parfois il faut condamner, mais c’est à la justice de le décider ! C’est une mesure liberticide !
La loi de 1905 sera affaiblie alors que vous vous en réclamez. Les « biens de rapports » ouvrent la porte à une évolution inacceptable des associations cultuelles qui pourront ainsi changer de nature et perdre leur unique fonction de 1905 ! Vous vous réclamez de 1905, vous ne manquez pas d’humour ! Vous dites même que le Président de la République est le premier défenseur de la laïcité… Je ne le crois pas et, vous aurez beau vous réclamer d’Aristide, votre texte n’est pas « Briand » ! Je me permets de rappeler ici l’art. 19 de cette loi 1905, qui dit que « les associations ont pour objet exclusivement l’exercice d’un culte » et non la gestion d’un bien sans lien avec ce culte. Or, les biens de rapport le permettront !
Nos amendements veulent définir une République en actes. D’ailleurs, je ne sais pas combien d’entre eux seront rejetés: c’est incompréhensible que vous refusiez de discuter certains de nos amendements notamment ceux qui renforcent la MIVILUDES ! Il y a un grand absent dans ce texte: c’est celui évoqué par le Pdt de la République lors du discours des Mureaux : la « ghettoïsation du pays » ! Ces mots forts qui devraient nous amener à agir, cette dimension est totalement absente du texte. Ce texte est d’abord inutile dans la lutte contre le terrorisme, et vous l’assumez ! Ce texte ne permettra pas non plus au dispositif Pharos de voir ses éléments renforcés pour lutter contre la haine en ligne !
Enfin, le grand absent de ce texte est le séparatisme qui mine ce qu’est le fondement la République : c’est le séparatisme scolaire ! Nos enfants ne vont plus dans les mêmes écoles selon leur milieu social ! Cette menace pèse sur la République ! Jamais nos écoles n’ont été aussi inégalitaires. Il faut agir très vite contre ce séparatisme scolaire : la concentration sociale des plus favorisés dans certains quartiers et les plus pauvres dans d’autres ! Les écoles privées sont financées depuis 1959 sur l’argent public, cela coûte 12 milliards d’euros par an au contribuable ! 20% des recettes de l’impôt sur le revenu sert à financer cette concurrence au service public ! Cela doit cesser ! Ce séparatisme scolaire touche aussi nos élites : en 1950, parmi les élèves de l’ENA, HEC et l’ENS, 30% étaient issus des milieux défavorisés. Aujourd’hui ils ne sont plus que 9%. Même ces écoles sont la caisse de résonnance des inégalités.
Il faut faire de l’ecole publique une école conquérante. Faire en sorte par exemple qu’en Seine-Saint-Denis, lorsqu’un enseignant est absent, il est immédiatement remplacé ! Garantir qu’il y ait du soutien scolaire, etc… Il faut abroger la loi Carle et la loi Blanquer, qui créent un effet d’aubaine pour l’école privée ! Par ex. la loi Blanquer a obligé la ville de Bagnolet, commune la plus endettée de France, à verser 150 000€ supplémentaires à l’école privée ! Nous devons aussi mettre fin aux écoles hors-contrat. Je privilégie l’école publique mais je comprends la vexation des familles qui ont choisi l’Instruction En Famille et qui se trouvent embarquées dans un texte ayant pour but la lutte contre l’islamisme politique. Nous proposons de renforcer aussi les contrôles dans les familles IEF avec au moins deux controles par an. Le Ministre Blanquer s’inquiète qu’il y ait des dérives sectaires parfois mais il ne donne pas les moyens pour réaliser les contrôles !
Nous devrions abroger les déductions fiscales dont bénéficient les associations cultuelles ! Nous n’avons pas à financer par argent public le Culte. Ce n’est pas dans la loi de 1905 ! Selon Thomas Piketti, cela représente 200 millions d’euros. De plus, il est temps de mettre fin au Concordat d’Alsace-Moselle qui est une aberration anti laïque ! Cela coûte chaque année 60 millions d’euros d’argent public. C’est un vrai scandale ! La loi, la même pour tous, partout !
Nous estimons que les élus doivent donner l’exemple de la neutralité religieuse… Les élus és qualité ne doivent pas, selon nous, participer à des cérémonies religieuses ! Il est aussi urgent de lutter contre le séparatisme des riches, c’est celui-là qui nous coûte cher ! Nous proposions le rétablissement de l’ISF et l’impôt universel, c’était de vraies mesures sociales ! Ce texte ne se situe donc pas dans la continuité de ceux qui défendent la loi de 1905 c’est cela le problème, vous affaiblissez 1905 ! Ce qui monte au contraire dans le pays n’est pas une volonté de séparation mais de réparation !
Oui c’est au nom du respect des principes républicains que nous défendrons nos amendements. Nous pensons que ce n’est pas rendre service à la République que d’utiliser des mots qui nous sont chers on institue en quelque sorte une loi des suspects ! Dans un pays où le questionnement de ce pourquoi et comment nous faisons Nation est aussi fort, si c’est un discours de haine et de xénophobie qui l’emporte, alors vous rendrez un bien mauvais service à la République !
A l’Assemblée nationale, le ministre de l’Intérieur a accusé La France insoumise d’être aveugle à l’islamisme. Il doit cesser cette musique dangereuse qui travestit en suspects tous les concitoyens musulmans et se préoccuper des fractures sociales que le gouvernement aggrave.
Un député de l’opposition a l’habitude que les ministres esquivent ses questions et se réfugient dans la polémique quand ils sont mis en difficulté. Je ne veux cependant pas banaliser la réponse que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin m’a faite mardi 6 octobre à propos du récent discours du président de la République sur le «séparatisme» : «Dans votre circonscription, vous le savez fort bien, […] la situation monsieur le député est extrêmement grave et je ne m’excuse pas qu’un parti comme le vôtre, qui a dénoncé pendant longtemps l’opium du peuple, en soit désormais lié avec un islamo-gauchisme qui détruit la République. Voilà la réalité monsieur Corbière !»
Je serai donc aveugle devant le séparatisme dans ma circonscription de Montreuil et Bagnolet. Je mets pourtant au défi M. le ministre de l’Intérieur d’énoncer les faits qui justifient qu’il parle d’une «situation extrêmement grave». Non seulement depuis 2017 et mon élection comme député, personne n’a jamais avancé cette thèse, ni M. le préfet de Seine-Saint-Denis, ni les commissaires de police de ma circonscription. Mais au contraire, ces derniers ont généralement répondu à mes questions que, fort heureusement, il n’existait pas de faits significatifs dans cette partie du département. De quoi parle donc le ministre de l’Intérieur ?
Mesure-t-il, dans sa grande légèreté, le mépris qu’il témoigne pour les habitants de Montreuil et Bagnolet, devenus «un corps électoral» passivement complice d’opposants à la République ? Quant à moi, je fermerais les yeux pour des raisons électoralistes et clientélistes ? Le militant républicain et laïque que je suis ne peut tolérer aucune de ces attaques.
Progression de la pauvreté
Car, oui, depuis trois ans, je ne cesse d’interpeller le gouvernement sur les véritables «faits graves» qui se passent dans ma circonscription : la progression de la pauvreté, le recul de l’accès aux soins, les logements insalubres, le développement du trafic de drogue, les violences faites aux femmes, les écoles publiques qui manquent de moyens, l’absence de commissariat à Bagnolet, le nombre insuffisant de policiers, choses qui devraient préoccuper au premier chef le ministre de l’Intérieur mais que la politique du gouvernement auquel il appartient aggrave !
La charge du ministre de l’Intérieur est accompagnée d’un autre qualificatif : «Islamo-gauchiste.» Me le voilà donc collé sur le front, le stigmate à la mode, pris à Madame Le Pen, repris par la droite, puis par le pitoyable Manuel Valls ou quelques responsables, hélas, du PS à la dérive, et maintenant, usé jusqu’à la corde, par le gouvernement LREM.
J’informe M. Darmanin et sa meute d’insulteurs en cadence, que je ne suis ni islamiste – dois-je vraiment le prouver ? – ni gauchiste. Je rappelle au passage que ce dernier terme, popularisé par Lénine en 1920, désigne une «maladie infantile du communisme» qui menace ceux qui refusent le parlementarisme. Accusation un peu comique donc, un siècle plus tard, contre un député qui ne revendique que davantage de droits pour le Parlement !
Discours obsédant
S’indigner que l’on tire au fusil sur une mosquée et des fidèles, défendre une laïcité qui ne soit pas à géométrie variable, considérer que les lois actuelles permettent déjà de lutter contre la progression du fanatisme religieux mais que les services de l’Etat manquent de personnels et de moyens pour remplir cette mission, affirmer que l’affaiblissement de la République sociale et des services publics est le terreau de l’islamisme, s’opposer au discours obsédant venu de l’extrême droite contre les musulmans, ce serait donc là être «islamo-gauchiste» ?
Le ministre Darmanin doit cesser cette musique dangereuse qui travestit en suspects tous nos concitoyens musulmans, ou supposés l’être. Ils ne réclament pourtant qu’une chose, vivre en paix et en République sans être confondus avec les islamistes meurtriers qui ont endeuillé trop de fois notre pays.
Il est temps d’en finir avec ces propos détestables et infamants, au nom de la concorde nationale ou, c’est la même chose, de l’idéal de laïcité.
Est-ce la pression idéologique et électorale de l’extrême droite ? L’effet mécanique des primaires et leur surenchère permanente ? A voir. Mais, le principal chef de la droite semble passé de « Nos ancêtres les gaullistes » à « Nos ancêtres les gaulois ». Inquiétant. De Gaulle laisse la place à la Gaule. Toutefois, ne tournons pas le dos à ce débat, il a son importance et sa potentielle vertu, j’y reviendrai.
L’horreur de Nice a endeuillé cet été 2016. Même le plus beau soleil de juillet n’arrivera pas à réchauffer nos cœurs.
J’évoque ce drame affreux pour la première fois. Avant cela, à ce sujet, beaucoup de mes amis ont écrit des choses très belles et justes ici ou là. Leurs lignes m’ont alors suffi. Pour ma part, je suis resté silencieux sur les réseaux sociaux ou sur ce blog personnel. Dans les jours qui ont suivi, quelques médias m’ont même invité à réagir et j’ai préféré décliner. Que dire à chaud si ce n’est des commentaires bien dérisoires sur des dépêches de presse et des images insoutenables ? Et je ne voulais pas non plus commenter les bêtises déplacées et même parfois indécentes de bien de dirigeants de droite (tels MM. Juppé ou Estrosi), et du gouvernement, se précipitant sur les plateaux TV pour prendre la pose, qui n’ont montré finalement qu’un spectacle bien peu digne.
Décidément, ce gouvernement perd pieds jour après jour, non seulement sur le terrain social, mais également sur le terrain idéologique. Et même le foot, avec l’Euro 2016 qui débute, les rend encore plus fous ! De plus en plus isolés dans la société, crispés dans une attitude sectaire qui met le pays en état de grande turbulence, injurieux envers les syndicats, conspués dans les rues, quasi paranoïaque envers toutes contestations, arcboutés pour le maintien d’une loi régressive rejetée par les deux tiers du pays, etc… ce gouvernement s’affole et dans cet affolement se ridiculise sitôt qu’il aborde un sujet.