Sale époque

L’horreur de Nice a endeuillé cet été 2016. Même le plus beau soleil de juillet n’arrivera pas à réchauffer nos cœurs.

J’évoque ce drame affreux pour la première fois. Avant cela, à ce sujet, beaucoup de mes amis ont écrit des choses très belles et justes ici ou là. Leurs lignes m’ont alors suffi. Pour ma part, je suis resté silencieux sur les réseaux sociaux ou sur ce blog personnel. Dans les jours qui ont suivi, quelques médias m’ont même invité à réagir et j’ai préféré décliner. Que dire à chaud si ce n’est des commentaires bien dérisoires sur des dépêches de presse et des images insoutenables ? Et je ne voulais pas non plus commenter les bêtises déplacées et même parfois indécentes de bien de dirigeants de droite (tels MM. Juppé ou Estrosi), et du gouvernement, se précipitant sur les plateaux TV pour prendre la pose, qui n’ont montré finalement qu’un spectacle bien peu digne.

Choqué par la bestialité de l’acte j’ai été comme beaucoup d’entre vous d’abord abasourdi puis en colère. Et pour le dire en un mot simple : triste, profondément triste. Mon silence, qui sera passé je n’en doute pas totalement inaperçu, était ma façon de porter le deuil, et de marquer une forme de respect et d’hommages aux victimes et leurs familles. Par chance, aucun de mes proches ni de mes connaissances directes n’étaient ce soir-là sur la promenade des anglais, mais je me suis imaginé en frissonnant y être avec mes enfants et ceux que j’aime, en train d’admirer un feu d’artifice… et d’un seul coup être happés par la mort.

Une nouvelle fois un fanatique illuminé, sans doute halluciné (même de façon très indirecte, l’enquête nous le dira) par les appels au meurtre de Daesh, a tué. Notre peuple a été violemment touché par ce nouveau massacre. Tous les peuples du monde qui veulent la paix l’ont été également. Ainsi va ce 21e siècle. Ce monde violent a généré des personnages monstrueux. Des guerres injustes, essentiellement justifiées par le profit et la domination économique, ont bouleversé des régions entières du monde. Des États souvent fort peu démocratiques se sont effondrés, laissant la place au chaos. Désormais, pour survivre, des millions de gens fuient leurs pays. Par contre coup, un sombre obscurantisme religieux s’est répandu, terrorisant les populations sur place, traversant les frontières, se logeant dans les consciences dérangées de français (ou non mais qu’importe) ayant toujours vécus sur notre territoire.

La réponse reste la République sociale

Bien sûr on pourra débattre longtemps sur les pathologies et les névroses de bien des criminels avant qu’ils ne commettent leurs actes ignobles. Comment pourrait-il en être autrement ? Le fanatisme religieux s’empare toujours plus aisément des esprits dérangés. Cela n’est pas nouveau. Depuis des siècles, les guerres et meurtres tirant prétextes de motifs religieux ont toujours eu pour bras armé une soldatesque des brutes épaisses plutôt que des théologiens raffinés. Mais on ne peut sérieusement décrire ce qu’il se passe uniquement par la succession d’actes dues à des déséquilibrés. Il est important d’avoir en tête le contexte géopolitique dans lequel ils se déroulent. Arrêter les guerres et rétablir la paix est une des premières tâches. Cela prendra du temps. Evidemment, cela ne doit pas mettre de côté en France (et ailleurs) l’indispensable combat social que nous avons à mener pour une société plus juste, plus fraternelle et plus démocratique. Bien au contraire. C’est une dimension fondamentale de la réponse. Mais naïf celui qui croit que ce climat de terreur n’est pas sans effet délétère sur le combat collectif. Déjà des propos racistes se répandent de plus belles. Qui n’a pas vu ces images terribles d’une famille niçoise de confession musulmane, endeuillée par la tuerie du 14 juillet, se faire insulter par d’autres gens lors de la cérémonie ? Il est évident que nous devrons à l’avenir tenir tous les bouts. Combat culturel et idéologique à mener contre cet islamisme meurtrier et opposition ferme à toutes formes de racismes. Rude tâche. C’est tout le sens du combat laïque, dans le cadre d’une République sociale, dans toute sa dimension de concorde et de fraternité.

Nous devons, châtiés les coupables et leurs complices, briser les reins financiers à ces entités politico-maffieuses qui arment (même si seulement sur le plan intellectuel) les criminels. La police républicaine doit protéger les citoyens, notamment par des moyens de renseignements renforcés et plus efficaces. Ce ne sont pas des rondes de militaires, et une avalanche de gadgets sécuritaires désuets, qui règleront le problème. La vidéo-surveillance fut bien impuissante à Nice. Bref, il faut assécher le marécage social et idéologique, en France comme ailleurs, dans lequel se développe le monstre. Cela prendra du temps. Et malheur aux démagogues…

Le retour d’une calomnie indigne

Ceci étant dit j’ai écrit ce billet également pour répondre à une petite polémique très politicienne, qui s’était ouverte il y a quinze jours contre Jean-Luc Mélenchon. Je la croyais éteinte. Hélas, non. Je ne la place pas sur le même plan que le drame de Nice, mais je tiens à y répondre, par principe. Il est des choses qu’il ne faut pas laisser passer, surtout dans ce contexte extrême de confusions. Sans quoi, l’action politique n’a plus de sens. J’y reviens car le NPA et Olivier Besancenot viennent d’y donner un nouvel écho (ils n’étaient pas les seuls à l’avoir ouverte), repris par la presse, même en cette période de deuil, qui devrait pourtant amener les personnes sérieuses à être dignes. Mais, que ne feront-on pas pour un buzz quand personne ne parle de vous ? De quoi s’agit-il ? Prétextant d’une intervention de Jean-Luc Mélenchon d’une minute trente au Parlement européen dans lequel il dénonçait avec force les inacceptables effets antisociaux de la Directive européenne des travailleurs détachés qui dresse les salariés les uns contre les autres dans tous les pays de l’UE, et qui concerne uniquement pour le cas de la France au moins officiellement 286 000 personnes, le NPA utilise des méthodes pour le salir que je juge intolérables. Plutôt que d’utiliser leur énergie pour dénoncer cette scandaleuse Directive qui autorise à faire travailler des gens d’un autre pays en-dessous des règlementations sociales du pays dans lesquels ils viennent, le NPA calomnie celui qui refuse ce système infâme qui dresse les uns contre les autres. Sortant une phrase de son contexte, refusant d’entendre que Jean-Luc mettait des guillemets à sa formule choc, malgré la mise au point qu’il a fait ensuite, les voilà qui nous traite aussitôt de « nationalistes », « chauvins ». Rien que ça. Et même à les lire Mélenchon serait « un personnage dont l’éthique est bien éloignée de la nôtre, des valeurs que nous défendons ». On aimerait en savoir davantage. Voilà des propos que l’on ne tient pas à la légère. Et bien la preuve de notre authentique visage chauvin serait dans le tweet que Jean-Luc a envoyé le soir de la finale du championnat d’Europe de football : « Ce soir, c’est juste du foot. Rien à voir avec France-Allemagne ». Il y aurait, tenez-vous bien, dans ce message de la xénophobie. On se pince. Comme si les matchs France-Allemagne n’étaient pas chargés d’une haute valeur symbolique, extra-sportive, depuis notamment la célèbre demi-finale perdue de 1982, qui tenait plus de la tragédie grecque que du jeu de ballon, et surtout comme si ce tweet taquin n’était pas porteur d’une sorte d’humour bien inoffensif, où il est de bon ton de chambrer l’adversaire, dont les grandes compétitions sportives et populaires ont le secret. Je profite aussi au passage pour préciser que j’ai toujours été agacé de voir quelques esprits forts du NPA ou autres gauchistes s’indigner que nous parlions parfois de « patrie républicaine » en nous accolant aussitôt le qualificatif de nationalistes (ce qui n’est pas la même chose que patriote), alors que les mêmes nous vantent Ernesto « Che » Guevara qui n’hésitait pas à proclamer un tonitruant « Patria o muerte », qui les ferait s’évanouir s’il l’avait dit en français. 

Sales méthodes

Ce procédé d’attaque sous la ceinture que je qualifie de dégueulasse, puise d’abord ses racines dans la plus pure tradition stalinienne de la sombre époque où il était d’usage de grappiller quelques bouts de phrases ici ou là, pour « démasquer le traitre à double face » qu’il fallait flétrir. Les procès de Moscou des années 30 et les purges des années 50 cèdent la place en 2016 à de petits procès en moches coups, mais la logique est la même, toute proportion gardée. Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose. Sitôt qu’une tête émerge il faut la couper. Rien de grand ne doit exister, surtout pas. Ainsi qu’importe l’engagement de toute une vie militante, qu’importe les milliers d’ouvrages, de déclarations, de billets de blogs, de discours, qu’importe son combat pour l’égalité des droits entre français et étrangers, son combat contre le racisme, son engagement internationaliste, qu’importe… la « vérité » du procureur qui fera l’acte d’accusation est dans les quelques misérables mots qu’il a ciselé avec soin pour bâtir sa plaidoirie et impressionner quelques gogos. Je repense à la célèbre série X Files de ma jeunesse qui annonçait dans son générique « la vérité est ailleurs ». Pour le NPA, la vérité de Mélenchon et de la France insoumise est ailleurs aussi, nichée non pas dans ses actes nombreux, mais dans ces micros détails qui paraît-il en disent long, plus long que tout le reste réuni. Ironie, dans le seul article que j’ai trouvé sur le site du NPA qui dénonce la Directive des Travailleurs Détachés, datant de 2013, l’article est illustré d’une photo de manifestation au premier rang de laquelle, à quelques mètres d’Olivier Besancenoton peut voir… Jean-Luc Mélenchon! A la lecture du ton employé pour le dézinguer, est-il prévu de l’effacer demain de ses photos de luttes ? On pourrait s’interroger. Dans le passé, cela s’est vu.

Alors, je dis : Halte au feu ! Car, si les mots ont un sens, ce que font Besancenot et ses amis, c’est tout simplement nous décrire avec le même vocabulaire que l’extrême droite. D’où vient cette rage ? Ce sectarisme absurde ? Ce mépris de la rigueur intellectuelle ? Cet esprit de secte qui passe son temps à se délimiter vis à vis des autres ? Ce goût de la polémique outrancière, jusqu’à l’absurde ? C’est la maladie infantile du gauchisme : le sectarisme. Cette étroitesse d’esprit a pourtant pourri les organisations révolutionnaires des années 70 qui ont perdu leurs temps dans des polémiques entre elles totalement opaques. Ils recommencent, cette fois ci avec nous, même si nous ne sommes en rien rivaux dans nos projets. Mais le passé de l’extrême gauche est parfois utile à revisiter pour mieux la comprendre. On y retrouve des constantes. Un exemple parmi beaucoup d’autres. Mais je parle ici de ce j’ai connu. La LCR des années 70, dont le NPA est l’héritière, publiait des brochures ayant pour titre « Qu’est-ce que l’AJS ? » ou « Qu’est-ce que l’OCI ? » pendant que les autres rétorquait dans d’autres publications au titre tout aussi hermétique « A propos de brochure Qu’est-ce que l’OCI ? ». Croyez-moi, il fallait avoir bon appétit pour avaler ces potages bourratifs. Les attaques volaient bas. On se traitait « d’agent de la CIA » et « du KGB » de « nervis », d’utilisateur « de méthodes fascisantes » et autres qualificatifs… Ces pratiques ont fait fuir des milliers de jeunes gens lassés par ces lourdeurs littéraires, pleines de citations assommantes, qui ne séduisaient que quelques petits professeurs rouges. Avec sagesse, les masses s’en tenaient éloignées. Manifestement, certains n’ont rien appris de ces déboires. Anecdote à laquelle je ne peux résister, Henri Weber était l’auteur de ces textes ineptes. Il est devenu par la suite sénateur fabiusien et aujourd’hui défenseur du gouvernement Hollande. Il faut toujours se méfier des donneurs de leçons gourmands de polémiques dérisoires.

La présidentielle rend fou

Je plaide surtout pour que ces pratiques cessent. Serai-je entendu ? La présidentielle qui commence n’autorise pas tout. Le contexte évoqué dans ma première partie non plus. J’appelle chacun à l’esprit de responsabilité. Et le succès du début de notre campagne avec la France insoumise et notre beau rassemblement du 5 juin, ne permet pas que toutes les jalousies déclenchent des crachats. Car ce déballage de sottises blesse et fait mal. Il est toujours plus facile de briser que de construire et le NPA trouvera toujours des alliés pour nous taper dessus. A commencer par le PS. N’étant pas sorti de l’œuf, je devine la convergence d’intérêts de certains. Qui voit d’un bon œil que l’on s’en prenne au seul candidat qui rivalise sérieusement avec François Hollande et qui a toutes les chances de le battre au premier tour ? La réponse est dans la question. Pour ma part, comme mes amis, nous ne sommes jamais permis d’attaquer de la sorte des camarades d’Olivier Besancenot même si souvent, beaucoup de leurs déclarations nous déplaisaient par leurs puérilités ou leurs inconséquences, et les désordres inutiles qu’elles provoquaient.

Un dernier mot. Dans l’hebdomadaire Marianne du 17 juin, le réalisateur britannique Ken Loach, soutien actif en France du NPA, expliquait les raisons du vote en faveur du Brexit avec des mots terribles : « La gauche ne peut pas se contenter à dire que l’immigration est une bonne chose pour l’économie. Elle ne se confronte pas au problème de l’immigration car elle a peur de passer pour raciste. Cela doit cesser ». Une telle déclaration en France pourrait être tenue presque mot pour mot par l’extrême droite. Ce serait bien sûr un contre sens complet. Pourtant, elle ne dénonce pas le cas précis des Travailleurs détachés mais l’immigration en général, sans détail, sans nuance, même quand le travailleur étranger est payé comme son camarade du pays d’accueil. Ce qui permet bien sûr au lecteur de ne pas assimiler Loach au FN, c’est l’ensemble de son engagement, de ses prises de positions, de son œuvre artistique. Bien sûr, le NPA et Besancenot n’ont pas dénoncé leur ami Ken Loach. Bien au contraire. Mais, c’est bien connu, le sectaire a des œillères qui réduisent son champ de vision.