Faux référendum et vraie entourloupe
A partir d’aujourd’hui, et durant 3 jours, le Parti Socialiste organise un prétendu référendum pour « l’unité de la gauche ». Drôle de pari à haut risque pour le principal dirigeant du PS qui, sauf s’il tripatouille les résultats pour éviter le fiasco, perdra encore un peu plus de crédibilité au terme de ces trois journées qui seront marquées par des urnes vides. Jugez-en. L’opération est quasi comique et un peu cynique. Certes, je connais mes classiques, consulter le peuple est toujours positif. Mais faire semblant de le faire est toujours négatif.
Et puis, quand ceux qui posent une question sont connus pour être ceux qui n’écoutent plus les réponses du peuple depuis des années, comment croire la question sincère ? Un peu comme si ces derniers jours Sepp Blatter et la Fifa décidaient d’organiser un référendum pour « lutter contre la corruption dans le football ». Le grand public serait à juste raison, comment dirai-je, un peu méfiant… Car enfin, qui sont ceux qui divisent la gauche, la fragmentent, l’affaiblissent, la sectarisent, la folklorisent, la salissent, la ridiculisent… bref, la « macronisent » et la « vallsisent » ? Réponse simple : c’est le PS et la politique qu’il mène actuellement au gouvernement. C’est là le cœur du problème. C’est sur ce point qu’il faudrait consulter le peuple pour savoir s’il l’approuve. Tout le reste n’est que bavardage inutile et conséquence du premier ou « tacticisme érigé en art » « troublant l’eau pour pêcher son pouvoir » comme l’écrivait Cambadélis à propos de François Hollande dans un ouvrage paru en 2008 où il jugeait ses 10 années comme Premier secrétaire.
Une nouvelle fois, le PS fuit ses responsabilités
Qui ne voit pas la manœuvre ? Elle est grossièrement énorme. Tout ceci n’a qu’une vocation : faire porter la responsabilité de la future défaite électorale annoncée des 6 et 13 décembre prochain un peu à EELV, surtout au Front de Gauche, et plus particulièrement à Jean-Luc Mélenchon. Pitoyable. Cette campagne pour l’union n’est donc qu’une nouvelle opération de division. Classique. C’est là que je reconnais la matrice intellectuelle de Cambadélis. Formé à la bonne école du trotskyme, dit « lambertiste » (comme l’auteur de ses lignes dans une moindre mesure et à une autre époque), le Premier secrétaire du PS a appris parfois douloureusement dans sa jeunesse que le prétendu combat pour l’unité s’accompagne parfois d’arguments frappants. « L’Union est un combat » disait même un ouvrage de formation du PCF de l’époque. La formule était juste. Un farceur dirait aujourd’hui « La désunion est un Camba ». Sans avoir connu toutes les passions militantes des années 70 et 80, j’ai en mémoire une participation au service d’ordre du PCI lambertiste le 4 mars 1989 lors d’une manifestation enseignante où nous avions chargé nos « adversaires » aux cris de « Unité ! ». Les coups de poings dans la figure du SO concurrent étaient nos principaux arguments. Notre offensive pour imposer « l’unité aux appareils qui divisent » (selon la formule consacrée) se solda par quelques nez en sang et vêtements déchirés (déjà) pour nos contradicteurs. De façon plus civilisée, l’Unité servait aussi de prétexte pour faire signer des pétitions exigeant l’unité et mettant « les appareils aux pieds du mur ». Tout cela avait peu d’effet si ce n’est renforcer l’esprit de citadelle assiégée. Voilà donc à quoi est réduit le PS actuel pour exister politiquement : recycler toutes les ficelles de l’extrême gauche des années 70 (loin d’avoir tort dans ses combats néanmoins) qui étaient alors de petites organisations luttant à armes inégales contre les partis « traditionnels » du mouvement ouvrier. La différence est qu’à présent les Cambadélis, Dray et compagnie ne sont plus à la tête de l’AJS ou des JCR recherchant l’unité du PS et du PCF contre Giscard d’Estaing, mais à la tête du PS qui est « le » principal responsable de la division et qui dirige le pays depuis 2012. Petit détail. Et l’extrême droite menaçante, forte aussi d’un peuple de gauche désorienté par le cours du gouvernement, rend tout cela encore plus tragique. On ne lutte pas contre l’extrême droite en soutenant une politique qui produit désespoir et régression sociale, mais en mobilisant le peuple, en l’unifiant sur des contenus et non sur des artifices. Il me faudra y revenir dans un prochain billet.
Je concède une excuse à la direction du PS. Que pourrait faire d’autre cet ex grand parti devenu si impuissant ? Ce Grand corps malade ? Ce cadavre idéologique dont les actes nous renverse ? Rien. Depuis 2012 ce parti chaque jour démontre son incapacité à modifier la politique du gouvernement, même à la marge, malgré de doctes résolutions votées à l’unanimité lors des bureaux nationaux du PS qui parfois pourraient laisser entendre que la politique en cours n’est pas la bonne. Attrape gogo pour bobos. Tous ces votes sans importance ne sont là que pour soigner les états d’âmes de certains et pour que les « frondeurs défrondent » (ce qu’ils ont fait manifestement). Finalement, quel intérêt et quelle influence ont ces jeux de dupes ? Aucun. Incapable de proposer autre chose qu’un « satisfecit » à François Hollande (si, si je n’invente pas !) lors du même Conseil national du PS où ils décidèrent ensuite de mettre en œuvre, ce « référendum » pour l’union. Incapable de voir les relations avec les autres forces de gauche autrement qu’une « caporalisation » où les autres forces sollicitées sont tenus de se ranger derrière le candidat choisi par le PS généralement bon cumulard et pétaradant soutien du gouvernement : ici député et Président de l’Assemblée nationale, là-bas Premier adjoint de la ville de Lille, ailleurs Ministre de la Défense alors que la France est engagée dans un conflit, Incapable tel Julien Dray dans le JDD de dire autre chose que « Macron c’est une chance pour la gauche » et « Mélenchon s’est enfermé dans un isolement ». Allez comprendre. « Mais qu’est-ce tu bois Juju dis donc ? » a-t-on seulement envie de lui répondre, en souvenir du jingle d’une boisson fruitée de notre enfance.
L’appel à l’unité du PS claque d’abord comme une « garde à vous » de caserne.
Le catéchisme idéaliste de « Père Camba »
Comment en sommes-nous arrivés là ? « A gauche les valeurs décident de tout » clame Cambadélis sur la couverture de son dernier livre (vendu après déjà un mois et demi en librairie à 800 exemplaires !). De ce titre-manifeste, il faut comprendre surtout que pour lui les actes de sa gauche ne décident de rien. « Débattez de ce que je pense mais ne commentez pas de ce que je fais » voilà le grand message dit « social-démocrate » ou « social-réformiste », ou je ne sais plus trop quelle trouvaille de communicant, pour qualifier le naufrage actuel du Premier secrétaire du PS et se amis. Tordant ainsi la phrase du vieux théoricien du SPD allemand à la fin 19e et au début du 20e siècle, Eduard Bernstein qui définissait ainsi le socialisme « le but n’est rien, le mouvement est tout », phrase qui rencontrait l’opposition radicale des révolutionnaires de la 2e Internationale tels Karl Kautsky ou Rosa Luxemburg, Jean-Christophe Cambadélis veut nous endormir en nous disant « Discutons ensemble sans fin du but, et ne commentez pas nos mouvements ». L’ex matérialiste « Camba » n’est plus dès lors qu’un idéaliste au service de la mort de son idéal de jeunesse. Tel le prêtre d’une grande religion décadente liée à un pouvoir injuste, M. Jean-Christophe Cambadélis psalmodie aux autres partis de gauche : Ecoutez mon sermon, ma liturgie est fidèle au dogme. Ne vous révoltez pas contre le pouvoir et retrouvons-nous chaque dimanche sagement pour prier ensemble.
« Et nous, pauvres canuts, n’avons pas de chemise » (vieux chant de lutte)
L’intense semaine qui vient de se dérouler, marquée fortement par le conflit à Air France, n’est qu’une triste illustration de la tartufferie que représenterait une « union » (dès le premier tour !!) avec le PS dont le Premier Ministre issu de ses rangs a pris immédiatement position contre les ouvriers en colère en les traitants publiquement de « voyous ». Quelle honte. Il se plaça immédiatement du côté de la Direction, comme un réflexe de classe. Quelle erreur. La chemise déchirée de ce DRH (poste ô combien politique à Air France) n’était que le symbole d’un pouvoir injuste et arrogant contre des salariés de plus en plus inquiets. Bien sûr, la colère a d’abord guidé spontanément ceux qui ont arraché ce vêtement. Mais comment ne pas voir dans cette tunique blanche la première marque visible qui différencie un ouvrier d’un cadre. C’est à dire le costume sombre, cravate et chemise blanche ? La formule de « violence symbolique » convient donc parfaitement à la situation, quel que soit le camp que l’on choisira. Ceci explique aussi cela. Choisis ton look camarade ! La lutte des classes fut ici une lutte des sapes. Le refrain d’un des plus vieux chants de lutte du mouvement ouvrier, « La révolte des Canuts » nous avait appris « Et nous pauvres canuts, n’avons pas de chemise » et « nous en tissons pour vous, grands de ce monde ». Ici, le fil (de coton ou de soie) invisible de notre longue histoire relie tous les évènements. L’ouvrier en tenue de travail très identifiable, ceint d’un gilet jaune fluorescent, a voulu arracher les attributs du pouvoir à celui qui entendait décider de son sort contre son avis. Un peu comme un soldat du rang, simple troufion, aurait, après des mois de combats sanglants, arraché les épaulettes de l’officier lui donnant des ordres absurdes mettant sa vie et celles de ses copains de tranchées en danger. Sans sa couronne, le Roi est nu a-t-on coutume de dire. Sans sa chemise, le patron dont la parole est si intimidante au quotidien, l’est aussi. A poil, les patrons qui nous font si peur deviennent comiques. Il y avait donc beaucoup de politique dans ce geste extrême. Pour paraphraser le grand stratège Carl von Clausewitz, ici la violence ouvrière est la continuation de la politique, par d’autres moyens. Bien sûr que l’acte fut violent et sans doute traumatisant pour ce DRH. Mais la violence était partout dans cette scène, bien antérieure à la déchirure de ce vêtement. Et la violence sociale, causée par les 2 900 suppressions de postes annoncées, aura des effets bien plus terribles, et plus coûteux à la société, que cette liquette déchirée. Pourquoi les puissants ont-ils depuis si peur ? C’est que dans cette affaire, ce n’était pas l’homme intuitu personae qui était visé mais bien la hiérarchie. C’est le consentement à l’autorité qui était remis en cause. L’ancien chef courant torse nu et cravate autour du cou pour fuir la colère des ouvriers devient dès lors une image universelle qui n’a besoin d’aucun commentaire pour être comprise de tous dans toute sa puissance. Nouvel épisode d’une longue histoire sans parole. Pour preuve, dès le lendemain le même DRH malmené (et indiscutablement choqué) était à son poste de travail, ne prenant aucun jour de repos, soulignant ainsi qu’il mettait dans ce dossier bien plus qu’un engagement strictement professionnel. La récente nomination de l’ancien conseiller social du Premier Ministre pour le remplacer bientôt, belle illustration du « pantouflage », apporte une nouvelle preuve du caractère très sensible et « politique » de ce poste. Tout cela explique pourquoi, du point de vue patronal, il faut rudement sanctionner ceux qui se sont rendus coupables de ces « déchirures ». C’est pourquoi on va les chercher à 6h du matin à leur domicile. Le patronat exige que son autorité soit restaurée dans tout le pays. Symbole contre symbole. Ceux qui ont ri en voyant la scène doivent pleurer à présent et avoir peur de ne jamais recommencer (lire ceci).
Condamner les violences ouvrières c’est condamner l’histoire de la gauche
Quelques mots sur la « violence ouvrière » et l’unité de la gauche. Comme tout le monde, je n’aime pas la violence. Je travaille à trouver des solutions pacifiques à la grave crise qui secoue notre pays. Mais, je connais l’histoire de mon pays. J’invite chacun à se remémorer l’histoire de la gauche. La longue histoire du mouvement ouvrier en lutte. Elle ne se fit pas toujours dans un dialogue feutré avec les patrons. Loin de là. Et même sans parler du mouvement ouvrier, il me revient en mémoire un exemple qui parlera à tous les ex trotskos et ex gauchos devenus sociaux libéraux et journalistes bien en vue. C’est l’exemple du 21 juin 1973 ou une grande partie de ce que la presse qualifiait « d’extrême gauche » attaqua avec cocktails Molotov et barres de fer un meeting d’extrême droite à la Mutualité. Le choc fut très violent. Des voitures flambèrent et des policiers furent molestés. Une quasi émeute dans le quartier latin. Si des « jeunes de banlieue » (terme méprisant) faisaient la même chose aujourd’hui, le pouvoir ferait sans doute tirer dans le tas sans sommation. Mais, en 1973, les jeunes gens coiffés de casques de motos et armés de barre de fer étaient issues de la classe moyenne et supérieure. La bourgeoisie rechigne à faire tirer sur ses enfants. C’est bien différent avec les prolos et leurs gosses. Le pouvoir de l’époque décida néanmoins de dissoudre les organisations à l’initiative de cette manifestation, à commencer par la Ligue Communiste d’Alain Krivine. Ce dernier fut même recherché par la police pour être jeté en prison. Le PS de l’époque, à la tête duquel il y avait François Mitterrand fit le choix non pas de condamner la violence des militants trotskystes mais au contraire d’accompagner publiquement Krivine, et ce devant la presse, avec le président de la LDH et de la CFDT avant qu’il ne soit interpellé quelques minutes plus tard par les forces de l’ordre. Pareille chose serait aujourd’hui totalement impossible. Devinez pourquoi. Mais je reviens à de vrais luttes ouvrières… la liste est longue. En voici quelques-unes. En 1979, les mineurs de Lorraine manifestèrent pendant des mois très violement contre la destruction de la métallurgie dans leur région. Bien des policiers furent blessés lors des affrontements. Beaucoup d’autres exemples existent. Jamais le PS ne condamnait la colère ouvrière se traduisant par des actes de violences. Et puis, il y eut les salariés des usines SKF dans le val de Marne, les « Conti » plus récemment, etc…sans dire un mot sur les paysans en colère dont les violences sont toujours admises.
C’est tout cela qui faisait que, malgré les nombreux et profonds désaccords idéologiques, la « gauche » au sens large se parlait. Bien sûr, il y avait aussi les débats programmatiques. Le plus important fut en 1972 la rédaction d’un programme commun entre le PS et le PCF (à des années lumières de la politique actuelle du gouvernement) rendu possible par le nouveau cours pris par le PS depuis le Congrès d’Epinay, où l’on critiquait à la tribune le capitalisme. Je n’en dis pas plus, mais je voulais juste illustrer que ce qui permit « l’Union de la gauche » cela a toujours été la politique, la bonne et sérieuse politique, l’action commune et d’abord la solidarité avec le mouvement ouvrier qui lutte pour sa défense, et non la combine, les astuces de circonstances, et autres gadgets préélectoraux. Je constate que la force propulsive de cette période est pratiquement totalement éteinte. Et j’ai la conviction qu’une nouvelle séquence politique est commencé dans laquelle l’union du peuple ne signifie pas mécaniquement l’unité des appareils politiques, surtout avec le PS. Pour que le neuf naisse, il faut qu’il y ait du vieux qui meure. Nous en sommes là. Nouvelle période, nouvelle stratégie et nouvelles organisations…
L’ambition de Cambadélis : faire voter les adhérents PS
Je reviens au référendum de Cambadélis… Quelle blague ! Il y a quelques semaines, l’objectif était de 300 000 votants. Mais la semaine dernière il est tombé à 200 000. Bigre. Quand on sait qu’il y a peu le PS revendiquait 220 000 adhérents (170 000 à jour de cotisation lors du dernier congrès), cela en dit long sur les ambitions de la rue de Solférino : essayer de faire voter ses adhérents. Le PS nous dit qu’il y aura 2 000 urnes pour voter à travers la France, ouverte pendant trois jours. Concrètement, cela signifie que le PS vise 33 votants par jour pour chaque urne… Belle ambition, n’est-ce pas ? De toutes façons, je prends les paris que les résultats à l’arrivée seront complètement bidonnés, invérifiables et que les votes en ligne seront significatifs… car incontrôlables. J’anticipe qu’ils annonceront dimanche soir « près 400 000 votants », façon de dire qu’ils ont atteint le double de leurs objectifs. La méthode objectifs/résultats revue et corrigée. Pure opération de communication. Quelle que soit les gesticulations du PS ce référendum n’aura aucun impact populaire. Il est mort-né car il n’est qu’une opération électorale politicienne directement liée à la campagne solférinienne. C’est là-dessus que je voudrais conclure.
Le PS doit intégrer les dépenses de ce référendum dans les frais de sa campagne régionale
Je pose une question : est-il prévu que cette consultation soit intégrée dans les frais de campagne régionale du PS ? Si ce n’est pas le cas, c’est un scandale. Car tout le monde peut être témoin que l’organisation de ce vote, les plus d’un million de tracts imprimés, 200 000 affiches, les urnes, les messages téléphoniques envoyés à tous les adhérents, etc. ne sont qu’une opération électorale dans le but d’appeler à voter PS dès le premier tour le 6 décembre prochain aux élections régionales. Vous en doutez ? Regardez les nombreuses photos que postent sur les réseaux sociaux les militants PS. Chaque opération publique liés à ce référendum est une occasion de mobiliser leurs élus et leurs militants pour parler de leurs candidats sur les marchés. Sans les élections régionales, cette consultation n’aurait jamais existé. J’invite les journalistes à poser la question à la direction du PS. Chaque tête de liste PS a-t-il bien prévu de l’intégrer dans ses comptes de campagne ?
Fidèle à leurs habitudes, Jean-Christophe Cambadélis, Julien Dray, Christophe Borgel et compagnie, tel des joueurs de poker, jouent leur chemise pour se refaire une santé dans ce référendum bidonné. Je pronostique que le peuple les verrait bien sortir torse nu de la table de jeu. Nous verrons dimanche soir. Le propre des joueurs de poker c’est de maitriser l’art de bluff. Là-dessus, ils sont d’indiscutables experts… les meilleurs.