Suite à la lettre que nous leur avons adressée avec Jean-Luc Mélenchon, concernant particulièrement le contenu des programmes de « Secrets d’Histoire » présentés par M. Stéphane Bern, la direction de France 2 nous a répondu dans un communiqué hier.
Je vous invite à en prendre connaissance et vous pourrez lire ensuite les premiers commentaires que cela suscite de ma part :
Communiqué de France 2
À la suite des déclarations de Monsieur Jean-Luc Mélenchon relatives à l’émission Secrets d’histoire, la direction de l’antenne et des programmes de France 2 tient à apporter les précisions suivantes.
France 2 réfute tout d’abord très fermement toute orientation idéologique concernant les contenus de ce programme emblématique de son antenne depuis 2007.
La qualité de ce programme d’histoire et la très grande variété de ses thèmes sont régulièrement reconnues par les téléspectateurs, aussi bien sur le plan des audiences que des retours qualitatifs.
L’histoire de France y est ainsi abordée dans toute sa diversité, de Saint-Louis à Charles de Gaulle, en passant par Jeanne d’Arc, Louis XIV, Danton, La Fayette, Talleyrand, Napoléon, Victor Hugo, Clemenceau…
Par ailleurs, l’histoire sur France 2 va bien au-delà du magazine culturel « Secrets d’histoire ». France 2 propose très régulièrement en première partie de soirée des grands documentaires événementiels, qui réunissent un public large et familial : la collection « Apocalypse », « La destruction des Juifs d’Europe », « La chute du Reich », « La dame du 6″, « Marie Curie, une femme sur le front », « Guerre d’Algérie, la déchirure » ; sans oublier la collection « Un jour, une histoire » (Pétain, Klaus Barbie, Simone Veil), « Un jour, un destin » (Jacques Chirac, François Mitterrand, Georges Marchais, Valéry Giscard d’Estaing, Nicolas Sarkozy, Georges Pompidou, Ségolène Royal…) et le rendez-vous documentaire hebdomadaire « Infrarouge », qui s’ouvre fréquemment à l’histoire (« Stalingrad », « Les pilotes français de l’Armée rouge : Normandie-Niemen », « Ils étaient la 2ème DB », « L’argent de la résistance », « Geneviève de Gaulle Anthonioz et Germaine Tillion : l’honneur de vivre »…).
Plus généralement, les téléspectateurs de France 2 plébiscitent la couverture par la direction de l’information et l’antenne de France 2 des grandes commémorations : 70ème anniversaire de la capitulation allemande le 8 mai dernier ; les commémorations du 6 juin l’an dernier ; le 14 juillet ; le 11 novembre ; les 70 ans de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau le 27 janvier 2015…
A noter que la fiction de France 2 apporte une contribution importante au traitement de l’histoire sur la chaîne. Citons notamment « La loi » sur le combat de Simone Veil sur l’avortement, les 2 épisodes de 90 minutes de « Toussaint Louverture », « Brassens, la mauvaise réputation », « Le chapeau de Mitterrand », « Un homme d’honneur » consacré à Pierre
Enfin, France 2, encore aujourd’hui, avec l’édition spéciale de la rédaction « 4 résistants au Panthéon », montre une nouvelle fois qu’elle joue pleinement son rôle et ses missions de service public dans le domaine de l’histoire et de la mémoire collective.
Sur France 2, l’histoire est résolument en mouvement, vivante, citoyenne et républicaine.
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Mes premiers commentaires :
1) Même si notre lettre est adressée à la Directrice de France Télévisions, je tiens d’abord à remercier France 2 de nous avoir répondu si vite. C’est pour moi non seulement la marque d’une certaine courtoisie mais surtout la preuve qu’il est légitime de débattre des contenus des programmes du service public audiovisuel qui est notre bien commun.
2) Je considère néanmoins que cette lettre n’apporte aucune réponse sur le fond à la principale critique que nous adressons : pourquoi « Secrets d’Histoire », aujourd’hui devenu « la » principale émission historique du service public, propose-t-il un tel déséquilibre dans le choix de ces sujets en privilégiant outrancièrement le destin des rois et des reines, les favorites, leurs enfants, etc. ? Pourquoi si peu de personnages associés à la fondation de la République ? Pourquoi les femmes sont-elles à ce point sous valorisées ? Pourquoi aucun personnage partie prenante de notre histoire nationale liés aux Caraïbes, à l’Afrique du Nord ou sub-saharienne ? Pourquoi aucun philosophe des Lumières ? Pourquoi cet effacement des grandes mobilisations sociales et politiques qui ont tant marquées notre Histoire ? Etc. Ainsi, je ne peux pas être d’accord avec France 2 quand il nous répond à propos de cette émission : « L’histoire de France y est ainsi abordée dans toute sa diversité ». Non, désolé, ce n’est pas exact et j’invite chacun à aller consulter la liste (cliquer ici) de tous les thèmes abordés par Secrets d’Histoire depuis 2007 afin de vérifier si oui ou non, ce que nous pointons avec Jean-Luc Mélenchon est exact.
3) Je ne peux pas prendre au sérieux que les manques historiques en quelque sorte de « Secrets d’Histoire » seraient rééquilibrés par d’autres magazines culturels comme « Un jour, un destin » ou « Un jour, une histoire » présentés par Laurent Delahousse. Il s’agit là d’émissions ayant ouvertement un parti pris très « people » qui abordent la vie de gens célèbres exclusivement à travers leurs petits secrets, leurs blessures intimes (Par exemple : la maladie de Georges Pompidou, la vie privée de François Mitterrand, etc..) ou leurs vies sentimentales même quand il s’agit de personnalités politiques ou historiques. De plus, sur 78 émissions depuis 2007, seulement 10 sont consacrées à ces dernières. On ne peut considérer ce programme comme un complément réels à l’attirance obsessionnelle de « Secrets d’Histoire » pour les têtes couronnées. Sans quoi, c’est le triomphe de Closer sur l’Histoire de France.
4) Oui, il est indiscutable que le service public produit et diffuse des grands documentaires évènementiels, généralement de bonne qualité, en première partie de soirée, de façon exceptionnelle. Je suis toutefois preneur de la liste exacte de tous ces programmes et de leur régularité sur une année pour juger de quelle manière ils complètent l’offre historique sur France 2. Je fais observer que, de ce que j’en vois, il s’agit presqu’exclusivement de programmes ayant un lien avec la première ou la seconde guerre mondiale et parfois la guerre d’Algérie. C’est bien sûr fort utile, mais cela ne s’aventure guère plus loin. Cela illustre précisément ce que nous pointons dans notre lettre. L’Histoire de France ce n’est pas seulement l’addition du destin des Rois de France et les grands conflits militaires du 20e siècle.
5) Le fait que France Télévisions couvre les grands évènements mémoriels et les grandes cérémonies républicaines n’est que la moindre des choses. Toutefois, l’exemple récent du Panthéon est révélateur d’un problème potentiel. Le Président de la République dans son hommage aux grandes figures de la Résistance n’a pas souhaité y associer des résistants communistes (Henri Rol Tanguy, Missak Manouchian, Danielle Casanova, etc.). C’est une erreur. La seule retransmission des grandes cérémonies n’est donc pas suffisante, car elle place l’Histoire totalement entre les mains des dirigeants politiques du pays.
6) Il est un peu regrettable que France 2 utilise l’argument de l’audience comme « preuve » de la qualité de leur programme. L’exemple de programmes de chaines privées de qualité fort médiocre mais ayant une grosse audience atteste que cet argument à des limites et ne peut servir de seule boussole au service public.
7) Pourquoi France 2 réfute que les programmes, notamment ceux qui abordent l’Histoire, contiennent une orientation idéologique ? On ne peut étudier et transmettre l’Histoire sans cela. Faire croire l’inverse est soit naïf, soit malhonnête. En Histoire, la « neutralité » totale n’existe pas. Il est en revanche utile que le service public maitrise et assume les partis pris idéologiques de certains programmes, le dise clairement aux téléspectateurs et assurent le fait que différentes opinions ou approches historiographiques puissent y être entendues, notamment en se confrontant. Il importe aussi que ce ne soit pas les thèses les plus farfelues ou mêmes les plus inacceptables qui trouvent dans le service public une caisse de résonnance au détriment des travaux de la grande majorité des historiens reconnus. Il importe enfin que ce ne soit pas le courant historique le plus nostalgique de l’Ancien régime qui gagne dans le service public une tribune permanente. Nous pensons que c’est ce qui n’existent pas, ou si peu, dans « Secrets d’Histoire ».
Sans complexe ni repentance, la République a le droit de voir sa tumultueuse mais passionnante histoire racontée et transmise dans le service public. Ceux qui ont donné leurs vies pour elle ne doivent pas être effacés au nom de l’audimat.