Hier soir, le Grand Journal de Canal + avait prévu de m’inviter à 19h20 pour un débat avec Stéphane Bern à propos de la lettre que nous avons écrit avec Jean-Luc Mélenchon au sujet des « Secrets d’Histoire » et des émissions historiques dans le service public audiovisuel. Je me réjouissais de cette rencontre et puis, au dernier moment, pour des raisons indépendantes de notre volonté, ce débat n’a pu avoir lieu. Partie remise nous a promis l’équipe du Grand Journal. Je l’espère vivement.
Cette rencontre eut été l’occasion de revenir sur les enjeux de ce que propose le service public à ceux qui le regardent. Parler des programmes TV n’est pas une façon de fuir les grandes questions sociales et écologiques. Le PG mène, en fonction de ses capacités, tous les combats à ce sujet. J’invite pour le vérifier à aller sur le site du PG, de Jean-Luc Mélenchon (toujours très complet) ou d’autres de mes amis. Epargnez donc moi les remarques qui considèrent qu’il y aurait une part de futilité dans cette controverse avec les producteurs de « Secrets d’Histoire ». Je ne suis pas d’accord. C’est l’inverse. Il s’agit essentiellement d’une extension du domaine de la lutte (pour reprendre le titre d’un célèbre roman). Et ici, la lutte est culturelle et idéologique. Donc déterminante en surplombant toutes les autres. L’expérience nous a appris qu’il ne suffit que l’Homme soit exploité férocement pour chercher mécaniquement les voies de l’émancipation. Encore faut-il que de belles idées lui en donnent la force et lui montre un horizon. C’est là tout l’apport des philosophes des Lumières. L’Homme n’est pas qu’un ventre, il est d’abord et surtout une conscience qui appréhende le monde en fonction de son univers culturel. Aussi, tous mes amis qui déplorent les renoncements et le désespoir qu’ils constatent dans notre peuple, et qui se traduisent par une faiblesse manifeste des luttes sociales et l’abstention, doivent en chercher la cause. D’où viennent ces défaites culturelles ? Précisément d’un discours idéologique balancé à gros jets par les programmes de télévision. Il faut donc nous en mêler. Je rappelle accessoirement que France Télévisions nous appartient à tous, nous payons tous une redevance de 136 euros par an, et que nous pouvons à bon droit donner notre opinion sur ces contenus.
Il n’est donc pas sans conséquence de proposer en permanence des programmes où le peuple est un acteur mineur, dont chaque mobilisation n’est qu’un inutile acte de brutalité, incapable de produire des femmes et des hommes agissant pour l’égalité et la justice, et que nous devons tout aux Grands Hommes (des monarques ou des puissants) dont les vies doivent être auscultées jusqu’à la chambre à coucher. Pas d’accord. Je n’accepte pas cette victoire de la presse people sur l’Histoire de France. Et la preuve que notre lettre ne cible pas en particulier Stéphane Bern et France 2 mais bien l’ensemble du service public, est l’émission « l’Ombre d’un doute » animée par Franck Ferrand et proposée hier soir sur France 3. On a eu droit à une « Guerre des dames à la cour du Roi soleil », détaillant la rivalité entre Mme de Maintenon et Mme de Montespan, pour gagner les faveurs de Louis XIV, avec forces détails. J’invite chacun à regarder la bande annonce.
Quelle tristesse ! Et dire que c’est nous qui payons. Dis-moi ce que tu transmets à la TV et je te dirai qui tu es. Voilà ce à quoi l’Histoire de notre grand pays est ramenée à une heure de grande écoute, à des coucheries. Alors certes la monarchie a duré plus d’un millénaire, elle doit être connue et étudiée, mais raison de plus pour ne pas effacer la passionnante histoire de ceux qui ont lutté en réaction pour la République. Ce ne fut pas facile. Cette dernière n’a pas poussé sur une terre vierge et les tenants de l’Ancien Régime ont longtemps lutté contre « la gueuse ». Trois fois au moins la République a été abattue en deux siècles. Quinze régimes différents se sont succédé durant ces deux cents ans. Cette instabilité constitutionnelle est la marque d’une histoire plus longue et agitée qu’ailleurs. Pourquoi ne pas le raconter ? Cela nous ouvre pourtant des portes vers le futur, notamment pour une 6e République, non ?
Enfin à ceux qui craignent que des responsables politiques se mêlent d’Histoire je répondrai en citant un extrait de Que vive la République de Régis Debray « Apprécier l’actualité à partir d’elle-même est le plus sûr moyen de faire du vieux avec du neuf ; et à ceux qui craignent de voir politiser l’histoire, il faut répondre qu’il y a urgence à historiciser la politique si on ne veut pas prendre des vessies pour des nouveautés. Comment s’informer de ce qui est sans le confronter à ce qui fut ? » On ne saurait mieux dire.
Dressé sur les épaules du service public « ce charme séculaire de la monarchie » comme disait Jean Jaurès m’est insupportable. Et il ne se limite pas aux émissions historiques. Demain la venue à Paris du Roi d’Espagne, un grand dadais dont le seul mérite est d’être le fils de son papa, sera encore l’occasion pour France Télévisions (et les autres chaines privées) de courbettes audiovisuelles. Mais le peuple espagnol lui-même réclame la souveraineté et la République. C’est aussi une des clefs du succès de Podemos. Contre les têtes couronnées, notre peuple aussi préfère les têtes dures. C’est cela que nous apprend la belle Histoire de France.