Décidément, ce gouvernement perd pieds jour après jour, non seulement sur le terrain social, mais également sur le terrain idéologique. Et même le foot, avec l’Euro 2016 qui débute, les rend encore plus fous ! De plus en plus isolés dans la société, crispés dans une attitude sectaire qui met le pays en état de grande turbulence, injurieux envers les syndicats, conspués dans les rues, quasi paranoïaque envers toutes contestations, arcboutés pour le maintien d’une loi régressive rejetée par les deux tiers du pays, etc… ce gouvernement s’affole et dans cet affolement se ridiculise sitôt qu’il aborde un sujet.
Mon billet de blog du jour veut en quelques lignes manifester mon indignation contre un document officiel du gouvernement (voir le visuel ci-joint), fabriqué par le Ministère de l’intérieur, adressé à des millions de citoyens et de supporters dans le cadre de l’Euro 2016 sous le titre « Bien se comporter au sein et aux abords des stades ». Au-delà de consignes de bon sens, notamment sur les questions de sécurité, ce petit panneau mélange le grotesque et des consignes franchement inquiétantes en République.
On pourra évidemment sourire à la lecture de la requête demandant aux supporters de « limiter les nuisances sonores » dans un stade, ou même aux abords. C’est aussi pertinent que demander aux touristes de ne pas se promener en maillot de bain l’été sur les plages. Les gens aiment précisément le stade pour y faire du bruit, pour hurler leur enthousiasme. Veut-on des supporters silencieux pour mieux entendre le ballon rouler sur la pelouse ? Bien sûr que non. Mais en revanche il est assez inquiétant (et je pèse mes mots) de demander à des supporters, qui sont aussi des citoyens, de « Ne pas tenir des propos idéologiques et politiques » … à quoi est ajouté, comme si les choses pouvaient être mise sur le plan « injurieux, racistes ou xénophobes ». Je souligne, qu’il faut d’ailleurs avoir un drôle de partie pris idéologique, pour considérer que celui qui exprime ses idées politiques et à ranger sur le même plan que celui qui exprime des idées racistes (condamnable par la loi, je le rappelle).
Plus généralement, en République, on ne doit jamais demander à des citoyens de ne pas tenir des « propos idéologiques ». D’abord, pour une raison simple. C’est impossible car tout est idéologique. Tout. Faire le choix d’une équipe contre une autre, c’est idéologique. S’enthousiasmer pour 11 personnes car on considère qu’ils vous représentent, c’est idéologique. Dire que le prix des billets d’entrées au stade est devenu excessivement cher et ce sport évolue de plus en plus vers le foot business, c’est idéologique. Observer que tous les 11 joueurs roumains qui vont jouer ce soir contre la France, ont des revenus qui, une fois additionnés, sont équivalents à un seul joueur français, c’est idéologique. L’exacerbation d’un nationalisme en short et crampons, c’est idéologique. Agiter un drapeau, c’est idéologique. S’interroger sur la pertinence des lourds financements publics pour rénover les stades alors que l’UEFA va engranger un bénéfice de près de 2 milliards d’euros, c’est idéologique. Considérer comme révoltant que le maillot de l’équipe de France qui va être vendu 85 euros aux supporters n’a été payé que 0,65 euros (oui 65 centimes !) à l’ouvrier qui l’a fabriqué, c’est idéologique. Utiliser l’amour populaire du foot, pour demander à des salariés qui défendent le Code du travail d’arrêter leur grève, c’est idéologique… ainsi de suite. Et par conséquence, puisque c’est idéologique, c’est donc politique. Sinon quoi ? Ouvrons les yeux et disons les choses franchement et sans hypocrisie. Les supporteurs ne sont pas des crétins. En 2016 le football, c’est de la politique (et même de la géopolitique) et un gigantesque émetteur idéologique qui pénètre l’intimité de chacun de façon puissante…. Qui en doute ? Et c’est un grand classique des régimes autoritaires que de faire croire que ses politiques sportives, ses actes et grands évènements qu’ils soutiennent, n’ont rien d’idéologiques, mais sont dus à des banales raisons « naturelles » qui ne se discutent pas.
On n’a guère de doute que le président de la République sera au premier rang dans les stades, les bras levés à la moindre attaque (on est habitué aux pires outrances depuis Jacques Chirac en 2008), pour essayer de capter la moindre petite goutte de popularité qu’il pourrait absorber en cas de victoire des bleus. En fait, si on suit le raisonnement de ceux qui ont imaginés ces piètres consignes, et de François Hollande, le seul qui a le droit de faire de la politique en Ve République, c’est le président qui a l’occasion d’une victoire devient le 12e joueur à qui l’on doit une part de la consécration. Aimer le foot, et le mettre en scène devant les photographes) et aussi une façon de faire peuple… au risque du ridicule.
Mais en réalité, ce que le ministère de l’intérieur semble surtout demander à l’ouverture de cette Euro 2016 (de façon dérisoire j’en conviens) aux supporters c’est de ne pas critiquer le gouvernement dans les stades. Ils craignent des banderoles contre la loi El Khomri. Leur peur du peuple est affligeante. D’autant que cette vision « froide » du football, qui tient les amoureux de ballon rond pour des gens sans conscience, est précisément très idéologique et contraire à la longue histoire de ce sport populaire où c’est précisément dans les stades que, par exemple en Espagne sous la dictature de Franco, les antifranquistes se faisaient entendre quand ils ne pouvaient plus le faire dans les rues. Idem en Amérique latine, où souvent les supporters faisaient passer de forts messages politiques, notamment contre des privatisations ou des saignées libérales, qui ont eu leur influence.
Mais surtout quand on convoque le peuple à un grand événement sportif, on ne lui demande pas ensuite de se taire. Et quand on est républicain, on l’écoute.
Certes, mon coup de gueule est symbolique et cette consigne du Ministère de l’intérieur est anecdotique. Mais en même temps, elle exprime une offensive idéologique bien dans l’air du temps par laquelle le gouvernement n’a plus qu’une chose à dire à son peuple : supportez, consommez, buvez… mais ne réfléchissez plus et surtout, surtout : Arrêtez la grève !
Quelles que soient leurs dérisoires manœuvres et consignes, les ballons rouleront mais la lutte continuera car il est temps de renvoyer cette mauvaise équipe gouvernementale au vestiaire.
Nota bene : Pour ceux qui ont envie d’aller plus loin, sur ce lien profond entre football et politique, je les invite à regarder le documentaire « Les rebelles du foot » de Gilles Perez avec la participation de Eric Cantona qui nous explique dès le début que « le foot ce n’est pas que l’opium du peuple ». Ils y découvriront des personnages fantastiques, d’un courage exceptionnel comme Drogba, Mekloufi ou Socrates mais aussi comme le chilien Caszelly qui rendit une part de dignité à son peuple en refusant publiquement de serrer la main au dictateur Pinochet qui la lui tendait. Gloire aux rebelles du foot, ces insoumis magnifiques !