Depuis dimanche, les paroles du dirigeant du PS Julien Dray, Secrétaire national à « l ‘Alliance populaire » (quésaco ?), rapportées sur ce blog ont produit un certain effet dans le landernau. Ce nouveau billet de blog sur le même sujet, est là pour préciser les détails de certaines choses.
Pourquoi tant de haine contre le PG ?
D’abord, ni moi, ni mes amis, n’ont rien de personnel contre Julien Dray. Sortons de ces commentaires faciles que j’ai pu lire ici ou là. Je ne règle aucun compte. Je n’ai jamais été son intime et il le sait. Je ne déterre donc aucun « vieux dossier » à des fins personnelles et mesquines. Mon désaccord avec lui, brûlant d’actualité, est politique, 100 % politique. Rien d’autre. Les mises au point que je juge utiles de faire ici s’inscrivent dans une volonté d’apporter des réponses au nouveau secrétaire national du PS, conformément aux moyens qu’il s’est donné et aux buts qu’il veut atteindre. En un mot, je mets en relief sa posture. J’observe à grand regret, que depuis quelques mois, et particulièrement depuis qu’il a hérité de ce drôle de titre à « l’Alliance populaire » lors du récent congrès du PS, Julien Dray est devenu particulièrement agressif contre le Parti de Gauche et Jean Luc Mélenchon tout précisément. D’abord, comme pour d’autres de mes camarades, cela m’a surpris. Cela débute au cœur de l’été dans le Figaro du 16 juillet dernier. Il y déclare alors avec une certaine fougue : « Mélenchon est un obstacle au rassemblement politique de la gauche, il doit donc être traité comme un obstacle ». Bigre. Menaçant, il ajoute en faisant référence à son livre précédent « La faute politique de Jean Luc Mélenchon » (pour relire ce qu’en pensais, cliquer ici) : « Au moment d’écrire mon bouquin, j’ai retenu mes coups. Cette fois, c’est terminé !». Nous étions donc prévenus. Manifestement, nous gênons le PS dans son opération de rassemblement autour du seul candidat Hollande en 2017. Le message est passé. Dont acte.
Le nouveau « point godwin » de Dray : syndicaliste en colère = terroriste
Depuis, chaud comme la braise, et tout à sa tâche, Julien Dray ne cesse de répéter pis que pendre contre Jean-Luc Mélenchon devant divers interlocuteurs. C’est lui le meilleur diplômé en « démélenchonisation ». Certains journalistes rapportent parfois bien des propos peu plaisants. Dimanche, invité du Supplément de Canal +, il était là uniquement pour apporter la « riposte » à la prise de position remarquée de Jean-Luc (au micro de RMC chez Jean-Jacques Bourdin) en soutien aux salariés d’Air France. Dès lors, sourcils froncés, dos vouté, sans nuance, sur le plateau de Canal, Dray attaque : « Quand on commence à arracher la chemise, après on va casser la gueule. Après qu’on a cassé la gueule, on enlève où on exécute. Ça s’est déjà passé dans l’histoire. Pour toutes les générations qui sont là et qui applaudissent : en 1970-71, l’extrême gauche s’est posé la question de la violence. Et l’Italie, par exemple, a basculé dans le terrorisme ».
Beurk ! Le procédé intellectuel est ici indécent. Quoi que l’on pense de la façon dont les salariés d’Air France ont exprimé leur colère ce jour-là, le raisonnement « marabout- bout de ficelle » utilisé par Dray est un adieu à tout réflexe de gauche. Le nouveau « point godwin » du débat politique solférinien. Dray ose comparer des salariés en colère avec des terroristes, ou même avec des potentiels staliniens ou des nazis qui seraient prêts demain à exécuter leurs opposants. J’en suis sidéré. Selon lui, si vous explosez de colère quand un patron ou un DRH annonce une nouvelle charrette de 2 900 suppressions de postes (qui fait suite 4 ans avant à 8 000 suppressions) c’est que vous êtes un proto-fasciste. Une brute et un tueur sommeillent en vous. On croyait ce genre d’injures réservées au pire réactionnaire, au plus obtus, au plus caricatural des représentants du Medef. Et puis, sur la violence de l’extrême gauche des années 70, que Dray fasse sa propre psychanalyse d’ex-militant de la LCR ces années-là. Je ne me sens pas concerné. Comme je l’évoquais dans un précédent billet, même lors des pires violences du 21 juin 1973, François Mitterrand rencontrait Alain Krivine (le dirigeant de la Ligue Communiste à l’époque) quelques minutes avant son arrestation. Il ne le traitait pas de « voyou ». A bon entendeur…
Des menaces inquiétantes contre le salariat en lutte
Mais, selon moi, le pire vient après. Entrainé dans sa fougue, Julien Dray ajoute sur Canal + avec son style inimitable : « Quand un dirigeant politique de la qualité de Jean-Luc Mélenchon dit aux gens continuez, refaites cela, en face, on s’armera aussi, on durcira les lois, on enverra en prison ». Quand je l’ai entendu la première fois, j’ai été estomaqué. Mais qui est ce « on », qui sonne comme un « on » inclusif dans lequel il faudrait compter Dray lui-même et ses camarades de parti ? Le Secrétaire national du PS ne dit pas « en face, ils s’armeront aussi, ils durciront les lois, ils enverront en prison ». Non. Il dit « on ». C’est menaçant et terrifiant. Dray se souvient-il que ceux qui sont majoritaires à l’Assemblée nationale et en capacité de durcir les lois, ce sont ses amis du PS et personne d’autre ? Alors pourquoi cette menace ?
En 2009, Julien Dray était bien sûr au courant qu’il était enregistré, rien n’a été volé et le bloggeur Politeeks l’avait déjà mis en ligne
Mais il est désormais temps de revenir à cet enregistrement des paroles de Julien Dray dans lequel il considère notamment de MM. Bartolone et Cambadélis sont des « fainéants » et des « manipulateurs », et qui a tant fait parler de lui. Entendu que désormais tous les acteurs ont dit les choses publiquement, je peux revenir sur cet épisode. Contrairement, à certaines bêtises qui ont été dite, au premier rang desquelles je range celle de M. Jean-Michel Apathie, célèbre journaliste multifonctions désormais à Europe 1, qui sans aucune vérification, ni même goût pour le détail, s’est permis de dire sur tweeter que nous faisions le caniveau et que nous avions volé un enregistrement. Non, monsieur Apathie. Encore raté. Dans cette affaire rien n’a été volé.
Il est temps de rendre à César ce qui est à César, et au bloggeur politeeks ce qui est à lui. Depuis hier, il raconte avec précision les faits. C’est lui qui a réalisé ce document. Vous pouvez l’écouter en cliquant là. Cet enregistrement a été effectué le 25 juillet 2009, lors d’une réunion réunissant plusieurs des meilleurs blogueurs réputés et respectables (le pertinent Vogelsong, l’excellent SarkoFrance, etc…) qui s’étaient pour certains engagés dans la campagne de Ségolène Royal de 2007 (mais pas tous) et des journalistes/bloggeur comme Guy Birenbaum. Julien Dray ne peut ignorer que ses propos sont enregistrés et qu’ils vont même être rapportés. C’est même le but implicite de cette rencontre. Le plus drôle est donc qu’il n’y avait pas de vrai scoop dans mon billet précédent. Plusieurs bloggeurs rendront compte de cette longue conversation. L’enregistrement intégral a même je crois été mis en ligne à l’époque (en 2010) sans que curieusement cela ne soit trop remarqué. Mais, il faut dire qu’à l’époque, Julien Dray est un peu « tricard » au PS après les différents épisodes délicats qu’il avait traversés. Ses camarades préféraient banaliser ses paroles. Ses déclarations intéressaient peu de monde et, de plus, l’univers du blog est trop souvent méprisé, à tort. Mais j’insiste sur un point : aucun propos n’a été volé de ma part et je répète avec force insistance que c’est le bloggeur politeeks qui fut le maitre d’œuvre de tout cela à l’époque et je l’en remercie (même si je ne connais pas ce monsieur et ses opinions politiques, je respecte seulement son travail). Il ne s’agissait donc pas de « off » qui devait rester secret. Dès le début de l’enregistrement, à la 46e seconde, l’auteur de l’enregistrement fait un test de micro en interrogeant très distinctement sa machine : « Là ça marche ? ça enregistre ou pas ? ». Tu parles donc d’un « voleur »… Pas très discret le type. Puis, une fois ces vérifications terminées, il pose manifestement son appareil enregistreur à proximité de Dray qui n’y voit rien à redire. Est-ce clair ?
Cette interview a longtemps été publique, utilisée dans différents articles. Mais, elle est tombée dans l’oubli. Mon rôle, à travers le seul média que je contrôle c’est à dire mon blog personnel, fut de la remettre depuis dimanche à la lumière médiatique comme n’importe quel autre journaliste peut le faire. Tout cela, Julien Dray le sait et c’est la raison pour laquelle il n’a pas réagi publiquement à mon billet de blog en criant au vol ou je ne sais quel prétexte. Il a seulement « oublié » qu’en 2009 il ne disait pas publiquement la même chose sur ceux pour lesquels désormais il entend faire profession de « cogneur anti-PG ». C’est ballot.
Un extrait d’une longue interview de près de deux heures
Le document que l’on peut désormais écouter en toute tranquillité sur le blog de Politeeks en intégralité est assez exceptionnel. Il nécessite néanmoins du temps pour s’en imprégner. Il dure précisément 1 heure et 52 minutes durant lesquelles Julien Dray s’exprime avec verve et souvent avec intelligence et humour sur beaucoup de sujets : le PS, la Ve République, ses affaires judiciaires, l’alliance avec François Bayrou, l’ouverture faite par Sarko, ses relations avec Mitterrand, son jugement de Ségolène Royal, la gauche, etc…
La direction du PS de 2009 : « une bande d’hypocrites », « une caste », « une génération gâtée » « épuisée »
J’ai donc extrait, en les recopiant, quelques bons passages dans cette interview fleuve et j’invite chacun à aller vérifier si ma retranscription est la bonne ou si elle manque de précision. Commençons par le début. A propos de la direction du PS du moment (à l’époque essentiellement Aubry, Bartolone, Cambadélis et Hamon…), il déclare qu’ils sont : « une bonne bande d’hypocrites » (6 mn 7 sec.). Il précise « Eux, c’est une caste, c’est ce que j’appelle la génération gâtée des enfants du mitterrandisme » « Ils n’ont jamais rien eu qui ne leur a été donné » ou encore : « Ils n’ont aucune connaissance du mouvement ouvrier. C’est pour cela qu’ils se comportent comme ils se comportent aujourd’hui, tous, Martine Aubry, Ségolène Royal, Laurent Fabius. .» (6 mn 41 sec.). « Ils n’ont rien à dire » (13 mn 55 sec). Pour lui, parlant encore du PS, il en est sûr : « ce qui est mort, c’est un parti » (14 mn 40 secondes)
Toujours très remonté contre la direction de son parti, Dray affirme « Cette génération est épuisée, elle doit partir, on pousse, on les harcèle… » (17e mn). Un des blogueurs l’interroge s’il dit la même chose lors de ses campagnes électorales. Oui, assure Julien : « Aux électeurs, je leur ai dit : si vous continuez avec ces gens-là, vous irez de défaite en défaite… », « Pour faire du neuf, il faut en finir avec le vieux ». « Il faut une refondation, un nouveau parti » (21e mn).
« Le mal ce sont les institutions de la Ve République, les mecs, ils pensent tous qu’ils sont les sauveurs »
Puis Julien Dray, après d’autres développements qui méritent d’être écoutés, va au cœur du problème, et pointe de façon très pertinente les institutions de la Ve République. C’est sans aucun doute le moment le plus intéressant de cette longue interview. Je partage tout ce qu’il dit. Ecoutons Dray « le mal ce sont les institutions de la Ve République, les mecs, ils pensent tous qu’ils sont les sauveurs » « les mecs, ils ont tous la grosse tête », « la gauche, elle s’en sortira si elle rompt avec tout cela » Il faut : « qu’elle dise qu’on ne pourra pas changer la société tant qu’on aura ce cadre institutionnel ». Et précise : « Il faudrait un candidat qui se présente en disant qu’il supprimera l’élection au suffrage universel du président de la République ». Ce candidat a bien existé en 2012, il s’appelait Jean-Luc Mélenchon, mais Dray ne l’a pas soutenu. Néanmoins, il reparle du PS « si on ne casse pas cette machine telle qu’elle est, c’est la mort de la gauche pour 10 ans… ». Pense-t-il toujours la même chose aujourd’hui quand il discute avec François Hollande pour préparer 2017 ? J’en doute. Vous avez dit « posture»…?
Bartolone et Cambadélis sur les « affaires » : « il vaut mieux qu’ils se taisent »
Mais les bloggeurs s’inquiètent. Julien Dray sort d’ennuis judiciaires. Bienveillant, l’un d’entre eux l’interroge en lui disant que ses adversaires du PS vont lui renvoyer au visage ses problèmes pour le faire taire. Aussitôt, Dray réplique, mi fier à bras, mi menaçant : « Il y en a deux, dans tous les cas déjà, il vaut mieux qu’ils se taisent, et si vous les rencontrez dites le leur. Il y en a un qui s’appelle Claude Bartolone, il ne vaut mieux pas qu’il l’ouvre. Je suis clair ? Y en a un autre, c’est Jean Christophe Cambadélis. Il faut encore moins qu’il l’ouvre. Dites-leur. (..) J’assume. Tout le monde ne peut pas faire la même chose. » (37 mn 9 sec.)
Rendre public l’entretien : « une des conditions pour que cela change »
Un autre bloggeur questionne le ton qu’utilise Dray et précise que désormais quand on s’adresse à des bloggeurs tout se sait et qu’il est possible que ce qu’il dit actuellement est d’ores et déjà dehors. « Tant mieux d’ailleurs, c’est une des conditions pour que cela change » répond Julien Dray.
Prophétique, à propos de la prochaine présidentielle, il annonce : « si c’est pour qu’on gagne, et qu’on fasse les mêmes conneries, alors là … » Et toujours sur le présidentialisme : « la gauche doit rompre avec cette culture » (48e mn)
Oui, la 6e République !
Voilà donc quelques « morceaux choisis » de ce long entretien passionné entre Julien Dray et la grosse dizaine de bloggeurs et journaliste auquel il s’adresse. Le reste en vaut la peine également. C’est notamment au bout d’une heure et seize minutes qu’il déclare ce que j’ai souligné lors de mon précédent billet (à propos de Bartolone et Cambadélis vus comme « fainéants et manipulateurs ») mais l’ensemble est bien plus riche comme on vient de le constater. Dès lors, beaucoup de questions se posent. Pour quelles raisons s’est-il mis au service de ceux, comme Bartolone et Cambadélis, qu’il considère comme les principaux responsables des défaites de la gauche à peine 6 ans plus tôt ? Pour quelles raisons ne fait-il plus entendre ses pertinentes critiques de la Ve République, avec laquelle « il faut rompre », pour se mettre au service de François Hollande qui utilise tous les traits autoritaires de ces institutions pour continuer ? Pour quelles raisons utilise-t-il tous ses talents pour agresser politiquement celui qui justement au 2012 a mis au cœur du débat politique la nécessaire rupture avec la Ve République et le passage à la 6eRépublique, à savoir Jean-Luc Mélenchon ? Julien Dray a-t-il remarqué que nous sommes une force qui met sans relâche le combat pour la 6e République (et je ne peux m’empêcher de faire ici référence au nouveau livre de ma camarade Raquel Garrido « Le Guide citoyen de la 6e République » qui vient de paraître aux éditions Fayard) au centre de son action ? Si Dray est convaincu de ce qu’il dit dans son interview, avec lequel je suis d’accord, comme tous mes camarades du Parti de Gauche, pourquoi ne nous aide-t-il pas ?
Docteur Dray ou Mister Julien
On touche ici ce qui constitue pour moi, un des grands mystères du « personnage » Julien Dray. Qui est-il véritablement ? Lors de son passage sur le plateau de Canal + le journaliste Ali Baddou dit à Julien qu’au PS on l’appelle désormais « Docteur Dray », faisant référence au célèbre rappeur « Docteur Dre ». La référence n’est pas si mal vue. Mais, Ali Baddou a oublié son complément : Mister Julien. Tout est là, dans cette double identité politique qu’il porte comme un fardeau depuis longtemps dans la gauche. Que vaut sa parole ? Docteur Dray ou Mister Julien ? Résigné ou rebelle ? Courtisan ou indépendant ? Tenu ou libre ? Avec nous ou contre nous ? On s’y perd ou on y voit de plus en plus clair. Mais, pour un poste de sénateur ou député dans le Val de Marne, et une tête de liste aux régionales, que ne ferait-il pas ?
Il faut constater sobrement que le Julien Dray de 2015 n’est plus le même que celui de 2009, ni surtout celui de sa jeunesse militante et à la Gauche socialiste. Pour conclure, un bloggeur l’interpelle. Mais pourquoi toute la direction actuelle du PS est encore unie malgré toutes les haines individuelles qui les traversent depuis si longtemps ? Bonne question. Clairvoyant, Julien répond en forme d’autoportrait inconscient : « Ils se disputent. Ils se déchirent. Mais, ils se réconcilient. Ils estiment que tous les autres ne sont pas de leur caste. Voilà ». Bien vu. Mais alors, pourquoi faire tant d’efforts pour les rejoindre ?
On dit de l’Empereur Titus qu’il déclarait « Diem perdidi » (j’ai perdu ma journée) quand il n’avait pas apporté à son peuple un bienfait. Julien Dray devrait se souvenir de Titus et arrêter de perdre ses journées.