Qu’il est difficile d’admettre que cette nuit tragique du vendredi 13 novembre a bien eu lieu avec son terrible tribut. La longue liste des prénoms des victimes, pour l’essentiel si jeunes, nous montre la réalité de la France de 2015 : Thierry, Patricia, Vincent, Djamila, Hugo, Mohamed… Ils sont nos semblables et leurs pertes nous sont très douloureuses.
Bien sûr, la violence obscurantiste des meurtriers est là, cruelle et lâche. Même si notre douleur n’est pas comparable avec celle que ressentent ceux qui ont perdu un être proche et aimé, cette violence aveugle, donc encore plus terrifiante, frappe symboliquement chacun d’entre nous de façon très vive. Tout le monde a ressenti cette morsure vendredi soir, même seulement assis devant son écran de TV. Prostrés, nous nous interrogeons, comment cette violence est-elle possible ? Elle est d’une certaine manière l’ombre portée des grands désordres du monde, des guerres illégitimes, où des régions immenses de notre planète sont déstabilisées et où des millions d’êtres humains vivent dans la barbarie depuis longtemps, là où des Etats n’existent plus, pulvérisés, et ou la démocratie politique n’a jamais réellement existé. Seul le discours politico-religieux lié à des bandes maffieuses assurant différents types de trafics, surnage de ce chaos. Humiliés par cette apocalypse qui laisse froid les grandes puissances économiques, des esprits troublés basculent dans la folie religieuse. Je ne dis pas cela pour justifier quoi que ce soit. Les illuminés qui tirent dans le dos d’une foule désarmée et joyeuse, réunie pour écouter un concert de rock, sont les funestes tueurs à gages, méprisables, d’un ordre obscurantiste qui déteste les idées des Lumières et tout ce qui constitue les fondements de notre idéal républicain et de mon engagement politique. Viscéralement, ils détestent tout ce que j’aime : l’égalité entre les êtres humains, la laïcité comme mode d’organisation politique et l’universalisme de nos principes et valeurs. Aucun compromis n’est possible avec cette poignée d’irréductibles, ils doivent être brisés physiquement et idéologiquement. Mais pour cela il est nécessaire de comprendre qu’ils sont aussi les enfants monstrueux de guerres qui n’avaient pour seule visée que de s’assurer le contrôle de régions où le pétrole regorge dans ses sous-sols. C’est la prédation capitaliste et notre système productiviste qui est la clé de nos malheurs. Sans une vision géopolitique globale et nouvelle, il est impossible de répondre sérieusement à la situation.
Alors oui, il faut assurer la sûreté de l’ensemble de nos concitoyens. A l’évidence. Il faut tout faire que ne se reproduise pas ce type de crimes. Personne ne peut s’opposer à ce que la justice, la police et les services de renseignements travaillent à cet objectif prioritaire dans les meilleures conditions. Dire cela, qui fait l’unanimité chez toutes les consciences éclairées, revient à dire très rapidement que l’ensemble des moyens humains qui ont été supprimé à ces services publics fait lourdement défaut et empêche l’ensemble de ces courageux fonctionnaires de mener de façon optimale leur difficile mission. Quand nous dénonçons les conséquences de l’austérité qui affaiblissent les moyens de l’Etat, nous parlons aussi de cela. Tout est lié. L’affaiblissement de l’Etat, c’est la faiblesse de la République. Un ami fonctionnaire de Police m’apprend à l’instant que le remboursement de la carte transport des policiers va être remis en cause à l’avenir. Economie budgétaire oblige. Concrètement, c’est 65 euros supplémentaires qu’il devra payer tous les mois pour prendre les transports en commun. Cette mesure mesquine fait suite à beaucoup d’autres. A l’heure où l’on vante les mérites de notre police, lui supprimer les moyens de travailler et faire baisser son pouvoir d’achat est cocasse… et affligeant. De même le célèbre juge antiterroriste Marc Trévidic expliquait l’autre soir sur un plateau TV que depuis les évènements de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher de janvier dernier, c’est seulement un juge antiterroriste supplémentaire qui a été ajouté aux 8 autres. Vous avez bien lu, on est passé seulement de 8 à 9 juges. Rien de plus. Comment travailler efficacement dans de telles conditions ?
Et surtout, on est en droit de s’interroger sur l’efficacité et la volonté réelle des mesures annoncées par le Président de la République hier devant le Congrès. Sur le plan intérieur, alors que plus de 10 lois antiterroristes ont été adoptées en 10 ans, sans qu’on juge l’efficacité des plus récentes, on est très étonné d’entendre qu’il faudrait absolument une révision constitutionnelle pour agir demain. Pas d’accord. On ne joue avec la Constitution sans convoquer le Peuple, seul souverain. Cette pérennisation constitutionnelle de mesure d’urgence n’est pas tolérable. Le maintien d’un « Etat d’Urgence permanent » durant 3 mois (pourquoi 3 d’ailleurs ?) au moins, oxymore démocratique fort préoccupante, n’est pas acceptable dans un Etat de droit, même quand il est lâchement attaqué de la sorte. François Hollande explique : « Nous devons faire évoluer notre Constitution pour permettre aux pouvoirs publics d’agir contre le terrorisme de guerre ». Pas d’accord. Il peut déjà agir. Je considère pour ma part que le lourd attirail législatif déjà existant, dans le cadre de l’actuelle Constitution, permet largement au pouvoir public d’être à la hauteur de la situation. A condition qu’il donne les moyens humains et financiers à ses serviteurs de le faire. Ne lâchons pas nos fondamentaux. On ne modifie pas une Constitution dans un tel climat d’inquiétude et de deuil. La 5eRépublique autoritaire est née dans l’exaspération populaire de l’incapacité à régler le drame algérien. Elle était taillée sur mesure pour le Général de Gaulle qui était perçu, qu’on l’apprécie ou non, comme l’ancien chef de la Résistance Française. Cette dimension symbolique avait accompagné l’acceptation d’une telle Constitution qui mettait le peuple à distance de beaucoup de choses. Mais à présent ? Une fois n’est pas coutume je reprends à mon compte un titre du quotidien Libération pour qualifier la situation « Démesures d’urgence ». Je prends une autre proposition de Hollande, aussi inefficace qu’antirépublicaine : la déchéance de la nationalité, pour les binationaux nés français. Pourquoi ? Une telle mesure n’empêchera jamais les actes de terrorisme. Aucun des assassins identifiés (et en incluant même ceux de janvier) n’était binational. Il s’agissait pour de français pour certains vivant en Belgique (!). On est donc là en pleine dérive idéologique qui nourrit des fantasmes. Jusque-là une telle mesure exceptionnelle n’était envisageable que pour des gens naturalisés français depuis 10 ans. Désormais, elle pourrait l’être pour des gens nés en France, ne connaissant aucun autre pays réellement. Qui ne voit pas le danger de fabriquer une large catégorie de citoyens pouvant potentiellement être déchus de leur nationalité ? Et puis, ne vaut-il pas mieux que des terroristes purgent leur peine sur le territoire français plutôt qu’ils soient renvoyés dans des territoires où ils pourraient ne pas être condamnés ? Quand François Hollande entend instaurer des catégories de français, remettant en cause le code de la nationalité, nous réaffirmons au contraire l’indivisibilité du peuple ! Hollande constitutionnalise donc une sorte Patriot Act à la française, alors même que dix années après, les américains ont reconnu son inefficacité et que seuls cinq décrets sur douze de la dernière loi dite « renseignement » ont été publiés. On est donc essentiellement dans l’effet d’annonce.
Pour frapper efficacement Daesh et protéger nos compatriotes, il convient surtout de répondre à une question fondamentale : Qui achète le pétrole de Daesh et de fait qui finance cet Etat ? Ces interrogations exigent réponse et depuis des mois Jean-Luc Mélenchon pose la question sans relâche. Il le faisait encore sur le plateau de France 2 hier soir.
En y répondant, il devient clair que nous devons modifier nos alliances actuelles et nos relations diplomatiques notamment en direction de l’Arabie Saoudite, du Qatar et de la Turquie.
Ceci étant dit, nous marchons sur une ligne de crête. A la poignée d’assassins, abjects intégristes qui tuent en pensant « je ne suis pas français, je ne suis que musulman », des forces d’extrême droite, des groupuscules identitaires qui méprisent quotidiennement nos compatriotes musulmans, comme des partis ayant pignon sur rue, regardent l’ensemble de nos concitoyens de confession musulmane supposée ou non, en pensant « vous n’êtes pas français, vous n’êtes que musulmans ». Terrible jeu de miroirs où chacun doit rester à sa place et où les identitaires développent finalement une même conception du monde que les intégristes religieux. Bien sûr, il serait fou de mettre un signe égal avec ceux qui mitraillent. Pas de fausses querelles. Mais il faut tout faire pour empêcher que ce pays bascule dans une guerre civile, entre français. Je décris donc des schémas de pensées des partisans des fausses théories de « choc des civilisations ». A les entendre, chacun doit rester chez soi, assignés à résidence spirituelle et identitaire, de façon immuable. Un ordre social hiérarchisé implacable, où la religion sert généralement d’identité. Hier soir, toujours sur France 2, le dirigeant de la droite M. Bruno Le Maire affirmait : « Je ne crois pas au modèle multiculturel. […] Je crois qu’il existe une culture française, je crois qu’il existe une culture nationale. Et vous ne pouvez avoir d’unité nationale que si chacun se rassemble autour de cette culture. » On touche là un débat fondamental. Bien sûr, il existe une culture française, mais elle est précisément multiculturelle. Et Le Maire eut été bien en peine de nous définir « la » culture française unique autour de laquelle il veut que nous nous rassemblions. Etre français c’est d’abord bien sûr disposer de la nationalité française. Mais être français, c’est aussi et surtout adhérer aux principes républicains fondamentaux de liberté, égalité et fraternité… et de laïcité qui est une autre façon de décliner la liberté de conscience. Cela se définit et s’organise dans des lois que nous adoptons démocratiquement. Parce que ces principes sont universalistes, des gens de toutes cultures peuvent les adopter et les faire leur. Je précise au passage qu’être un intégriste religieux, et un djihadiste armé, n’est pas une culture. Prenons garde de ne pas déraper. Voilà bien longtemps que la France est multiculturelle. Et au passage, 29 autre pays au monde ont le français pour langue officielle. Ce pays s’est construit par l’apport successif de vague migratoire depuis près de 150 ans au moins. Ces femmes et ces hommes ont non seulement travaillés dans nos champs et nos usines mais ont aussi enrichi notre patrimoine culturel. L’Histoire nous montre que depuis longtemps il est des français qui se sont comportés comme des ennemis de la France et d’autres personnes, même de culture différente que celle majoritaire en France qui sont prêtes à donner leur vie pour que les principes fondateurs et universels qui fondent ce pays depuis deux siècles rayonnent encore. On est prêt à mourir pour la liberté, peut-être pas pour de la gastronomie ou de la littérature, même si je ne minimise pas leur importance. Depuis toujours, les peuples ont moins besoin de pain qu’une grande cause.
Ne laissons pas souiller ce qui fait que nous aimons ce pays : sa dimension républicaine et universaliste. En ces heures terribles, nous marchons en nous tenant la main sur une ligne de crête bien étroite.