Dis-moi qui tu célèbres et je te dirai qui tu es. Le Premier secrétaire du PS, M. Jean Christophe Cambadélis a illustré cet adage une nouvelle fois en allant jeudi dernier dans le Nord, à Arras précisément, rendre un hommage vibrant à la mémoire de Guy Mollet, ancien secrétaire général de la SFIO… Guy Mollet ! Woaouh ! Je reviens sur cette cérémonie car j’y vois comme une allégorie de la pratique solférinienne actuelle.
Cela se voulait même un acte politique contre la progression de l’extrême droite dans la région, puisque M. Cambadélis a ainsi justifié sa présence pour le 40e anniversaire de la mort de celui qui fut aussi président du Conseil de la IVe République de 1956 à 1958 : « C’est une conception de la République que nous avons à défendre. Celle que défendait déjà Guy Mollet. Et qui n’a strictement rien à voir avec celle que veulent installer d’autres, divisant les Français en s’attaquant à notre modèle social, ou en allant jusqu’à les trier entre Français de souche et Français de papier. Ne les laissons pas faire du Nord – Pas-de-Calais – Picardie leur laboratoire ».
En même temps que cet hommage surprenant (mais ô combien parlant pour qui connait l’histoire), M. Cambadélis en profite pour faire croire qu’il lutte publiquement « pour l’unité de la gauche », en préparant pour cela un pseudo référendum du 16 au 18 octobre, préparant en réalité déjà le bouc émissaire sur lequel il veut faire porter la responsabilité de la défaite qui s’annonce pour le PS aux prochaines élections régionales. Ainsi est fait le PS à présent : il n’est jamais responsable de ce qui lui arrive et paraphrasant Sartre on pourrait dire que sa devise c’est « l’enfer c’est les autres ». Vous avez bien compris ? Si le PS prend une gamelle électorale en décembre, Cambadélis viendra nous expliquer que les responsables c’est la division (dont nul n’expliquera les raisons profondes et politiques rue de Solférino) et particulièrement Jean-Luc Mélenchon et ses amis. Habile, non ? Heu… pas tant que cela en vérité.
Et si le choix d’honorer la mémoire de Guy Mollet était une clé d’explication (même inconsciente) à ce que fait la direction actuelle du PS ? Car choisir Mollet comme référence et symbole pour résister à l’extrême droite et rassembler la gauche est un choix assez, comment dire… baroque et totalement inefficace.
Il est donc peut être nécessaire de faire un petit rappel historique aux plus jeunes (pour qui mollet signifie simplement une recette pour préparer des œufs) sur ce qu’est réellement Guy Mollet et le « molletisme ». En voici quelques éléments à grands traits. Cet homme, né en 1905 et mort en 1975, secrétaire général de la SFIO de 1946 à 1969 (23 ans !) incarna une pratique politique des plus opportuniste, faites de zig et de zag, capable de tenir des discours très à gauche (et même inspiré de référence marxiste) en congrès ou lors des élections, afin de sa faire applaudir par les militants, pour finalement agir à l’opposé passant même des accords avec la droite. Révélateur, au terme des années Mollet en responsabilité gouvernementale, à l’occasion de l’élection présidentielle de 1969, le candidat soutenu par la SFIO Gaston Defferre obtiendra… 5 %.
Pour être plus précis, je voudrais illustrer le « molletisme » sur trois points : l’union de la gauche, la guerre d’Algérie et la Ve République.
D’abord, Guy Mollet, pro européen et atlantiste, sera hostile à toute union de la gauche, ou plus précisément toute alliance avec le PCF. Pour dire les choses clairement, il aurait voté non au référendum de M. Cambadélis. Certes, nous étions alors en pleine guerre froide et l’anticommunisme ne faisait pas dans la dentelle mais c’est lui qui fut l’auteur de l’inoubliable : « Le parti communiste n’est ni à droite ni à gauche, il est à l’est ». En 1956, il met en œuvre « le Front Républicain », alliance électorale dans laquelle la SFIO se retrouve notamment aux côtés de Pierre Mendès-France et Jacques Chaban-Delmas. C’est à dire des secteurs de la droite et la gauche dite « non communiste ». Ce refus de tout accord avec le PCF le guidera toute son existence et c’est cela qui l’opposera encore à la nouvelle direction du PS élue sous la houlette de François Mitterrand à partir de 1971. Donc, revendiquer l’Union de la Gauche en célébrant Guy Mollet, c’est un peu comme se réclamer de la République en rendant hommage à Napoléon III. C’est un peu contradictoire.
Durant la guerre d’Algérie, élu Président du Conseil du 1er février 1956 au 13 juin 1957, c’est lui qui fit adopter le 12 mars 1956 les « pouvoirs spéciaux » qui attribueront aux militaires les pouvoirs de police. Pour beaucoup d’historiens, c’est cette mesure qui permettra notamment la pratique de la torture, même s’il n’est pas établi que Guy Mollet fut personnellement totalement au courant de cette pratique honteuse. Disons que cela fait encore débat parmi les historiens. Une chose est sûre, à partir de février 1956, ne trouvant la voie d’aucune solution politique, il engage la France dans une politique répressive pour « régler » la question algérienne et c’est lui qui multipliera par deux les effectifs militaires sur place et envoie le contingent.
Enfin c’est lui qui face à la menace de coup de force des gaullistes, s’appuyant sur des secteurs de l’armée et de l’extrême droite pro Algérie Française, s’agenouille politiquement devant le Général de Gaulle en 1958. Il fera même partie d’un gouvernement présidé par Charles de Gaulle entre mai 1958 et janvier 1959, dans un esprit « d’union nationale». Pour cela, il avait voté les pleins pouvoirs à Charles de Gaulle, malgré des critiques très vives du reste de la gauche et du mouvement ouvrier.
De tout cela, que faut-il garder ? Peu de choses (si ce n’est sur la plan social une troisième semaine de congés payés). Volontairement, je n’ai pas plus développé sur l’épisode de la crise du Canal de Suez d’octobre 1956 à mars 1957 où Guy Mollet crut habile de faire cause commune militairement avec la Grande Bretagne pour affronter Nasser qui avait eu le tort, et l’insolence, de nationaliser la Canal. Avec le recul de l’histoire cette ingérence dans la vie politique égyptienne illustre des comportements dont nous payons le prix aujourd’hui. Et à présent, quand on est Premier secrétaire du PS, en même temps que l’on soutient la politique de Manuel Valls et Emmanuel Macron, il faut être un sacré molletiste pour rendre hommage à Guy Mollet, avec drapeau rouge et au son de l’internationale jouée à la trompette.
Finalement, en 2015, dans le lexique solférinien et la novlangue des communicants, Molletiste se dit désormais Cambadéliste.