Aujourd’hui nous avons rendu hommage à François Delapierre.
Il est de coutume pour certains de nommer cette cérémonie un « dernier hommage ». J’affirme pourtant que ce ne sera pas le dernier car nous rendrons hommage à François chaque fois que lutterons contre les injustices de ce monde, chaque fois que nous tiendrons tête aux puissants, chaque fois que nous refuserons la méchanceté et la violence des inégalités sociales, chaque fois que nous combattrons les racistes et leurs idées morbides, chaque fois que nous partagerons notre expérience avec les plus jeunes afin qu’ils continuent le combat après nous, chaque fois que nous étudierons pour mieux comprendre ce monde afin de le transformer, chaque fois que nous briserons l’ordre établi, chaque fois que justice sera rendue, chaque fois que les femmes seront réellement l’égales de l’homme dans leurs droits et que l’égalité entre tous les êtres humains sera réalité, chaque fois que nous refuserons que la planète soit détruite par des fous qui ne recherchent que le profit, chaque fois qu’une intelligence fertile offrira à l’humanité une découverte socialement utile, … et cet hommage sans cesse répété par des milliers d’hommes et de femmes qui ne se connaitront peut être pas, et qui n’auront peut-être même pas connu François, s’incarnant dans des actions conscientes et matérielles rendra sa mort moins douloureuse.
Notre belle organisation militante et notre discipline, nos chants issus d’une longue tradition de lutte (du Drapeau rouge à Grandola vila morena chant de la Révolution portugaise de 1974 jusqu’à La Marseillaise), nos poings fermés devant son cercueil recouvert d’un drap rouge et d’une écharpe tricolore symbolisant la filiation avec les idéaux de la glorieuse Révolution Française, ont peut être surpris certains observateurs ce matin, durant cette belle matinée où le soleil de juin réchauffait les pierres du cimetière du Père Lachaise et nos cœurs endoloris.
Echarpes rouges au cou et œillets rouges à la main ou à la boutonnière étaient notre rite laïque pour dire que la vie de François et sa mort s’inscrivent dans une histoire plus longue, qui le dépasse et nous dépasse tous, pauvres mortels. C’est celle du long combat des hommes pour leur émancipation. C’est celle du mouvement ouvrier organisé. C’est celle du combat révolutionnaire pour bâtir un monde meilleur débarrassé de la violence, et des inégalités. C’est celle du combat en France pour une nouvelle République fraternelle et écosocialiste. Pour que vivent toutes les couleurs du monde, nous sommes toujours des rouges, la belle couleur pourpre, qui fait encore tellement peur aux profiteurs. Oui, les Rouges ! Et François qui en était un, fut célébré François tel qu’il a vécu.
Néanmoins, nous ne fétichisons rien. Il est possible d’ailleurs que demain de nouveaux symboles de luttes, différents des nôtres, apparaissent et fassent vibrer des millions de femmes et d’hommes en marche pour leur dignité. Ce seront alors aussitôt les nôtres. Mais nous resterons quoi qu’il arrive des êtres de culture et de mémoire. L’Histoire militante qui fut celle de François s’inscrit dans la continuité d’un long fil que nous avons maintenu aujourd’hui, symbolisé par le fait que nous nous sommes tous tenus par l’épaule pour passer devant le cercueil, et par la beauté de cette cérémonie que nous avons transmise à d’autres générations.
Merci à tous ceux qui furent là, quelles que soient leurs convictions politiques et spirituelles, si nombreux pour écouter les paroles magnifiques d’Emmanuelle Delapierre la sœur de François, de Charlotte Girard son épouse et notre camarade, puis de Jean-Luc Mélenchon. Ces trois intelligences ont trouvé les mots qui nous ont soulagé et émus, tellement ils furent beaux et sensibles. Je n’oublierai jamais les paroles d’Emmanuelle, débordante de sensibilité et de subtilité pour parler de son frère. Ce grand frère aimé qu’elle nous a restitué durant quelques trop courtes minutes, c’était aussi le nôtre et François avait décidemment bien de la chance d’avoir une si belle famille. C’est grâce à elle, à ses parents si cultivés, si pudiques et à l’intelligence délicate, à ses deux sœurs Emmanuelle et Laurence, qu’il fut l’homme accompli que nous avons connu et aimé. Ensuite, Charlotte, notre Charlotte, fut encore époustouflante de dignité, de sensibilité et d’humour. La voix sûre, elle a trouvé la force de nous parler de François. Son chant d’amour avait des accents d’universel. Et puis Jean-Luc, de grand tribun il devint philosophe comme il sait si bien le faire (on peut voir et écouter son discours ci-après). Il restitua l’épreuve que nous traversons dans la grande quête du message des Lumières. A nous tous, écrasés de tristesse, il nous rappela l’essentiel, qui guida aussi l’existence de François « Ne te demande pas pourquoi, mais cherche plutôt comment… ». Les yeux baignés de larmes comme tous les présents, en les écoutant, tous les trois si émouvants et si puissants, je me demandais tout simplement comment, malgré leur grande peine, ils arrivaient à faire entendre leurs voix.
Ils y sont arrivés car ils voulaient tout simplement être dignes de François.
Et, sur les marches de la Coupole, sortant de la salle du crématorium où nous lui avions rendu hommage, un cri a jailli de la poitrine d’un camarade, empruntant à une longue tradition du mouvement révolutionnaire chilien quand il rend hommage à ses morts. « Camarade François Delapierre ! » s’est-il exclamé. « Présent » ont répondu les centaines de personnes rassemblés « Présent, pour toujours et à jamais ».
Merci à tous.