Avertissement : Les funérailles de François Delapierre auront lieu jeudi 25 juin à 10h30 au cimetière Père Lachaise. Elles sont ouvertes à tous ceux qui veulent lui rendre hommage une dernière fois.
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Samedi 20 juin au matin dans une chambre de l’hôpital Pitié-Salpétrière à Paris, le cœur de mon camarade François Delapierre a cessé de battre, épuisé par les effets d’une terrible tumeur au cerveau qui ne cessait de détruire son corps depuis des mois, mais la main tenue par sa compagne Charlotte Girard qui l’accompagna d’un courage et d’un amour inouïe durant ces derniers moins d’épreuves.
Avec François c’est un compagnon de plus de vingt années de combat politique qui s’en va trop tôt, à 44 ans à peine. Une partie de ma vie s’éteint et ma peine est immense comme pour tous mes camarades. Je sais qu’elle est aussi partagée par énormément de gens qui n’étaient pas adhérents du Parti de Gauche et par centaines les messages d’affections ne cessent d’affluer via les réseaux sociaux, vers le site du PG où un communiqué d’hommage rédigé par Jean-Luc Mélenchon a été publié, vers les pages Facebook de ses proches, vers le blog de Raquel Garrido qui eut très vite la force de rédiger un texte présentant l’apport de François à nos actes collectifs, etc. Sur twitter le nom François Delapierre fut parmi les plus partagés de la journée. Beaucoup de responsables les plus divers, et avouons-le les plus surprenants, lui ont rendu hommage et la presse y a consacré plusieurs sujets. François, homme de conviction mais ô combien pudique et si peu démonstratif pour afficher ses sentiments quand il s’agissait de politique, aurait peut-être été étonné de découvrir l’ampleur d’une telle émotion et tristesse, que je veux croire sincère, à l’annonce de sa disparition. Je devine le sourire de ricanement qui aurait pu s’afficher au coin de ses lèvres. Mais il aurait dû s’y résoudre : nous étions très nombreux à l’aimer, à le respecter et à l’admirer même. C’était mon cas, je me suis souvent défini comme un « delapierriste ». Rarement un homme aura joué un rôle aussi déterminant dans mes choix politiques personnels depuis au moins quinze ans. C’était aussi un de mes plus chers copains avec lequel j’aimais beaucoup rire. Son humour pince sans rire était ravageur.
Mais, je ne veux pas me l’accaparer et François joua également un rôle important dans l’engagement politique de milliers d’autres personnes. Aussi après les premiers communiqués, nécessairement brefs, envoyés dans les heures qui suivirent son décès afin que l’annonce de sa disparition se propage, il me semble utile, nécessaire même, que ceux qui ont bien connu François racontent, par des témoignages personnels, ce qu’il fut avec le plus de précisions possibles afin que sa mémoire se perpétue et que le combat qui anima la très grande majorité de sa vie consciente continue. Cette tâche est dans le but de transmettre, ce qui fut une obsession permanente de François quelle que soit l’organisation ou le collectif dans lequel il était engagé. Oui, il fut un grand transmetteur, un pont entre les militants, un pédagogue de nos idées. Et c’est peut-être là une des premières façons de le définir.
Commençons par le début. Je crois (mais la mémoire est parfois faite de nuages que nous peinons à traverser les yeux grands ouverts) avoir rencontré François la première fois de ma vie en 1991, à l’occasion d’un congrès de l’UNEF-ID, le syndicat étudiant, dont il sera membre du Bureau national. Avec d’autres, il y animait une tendance du nom Tendance Sursaut Ou Déclin (TSOD). Derrière ce nom étrange, des militants liés au courant du PS dit « Gauche Socialiste » et à l’association SOS Racisme, comme Yann Galut ou Pascal Cherki, se regroupaient contre la direction du syndicat, présidée en ce temps-là par Christophe Borgel, elle aussi PS mais proche de Jean-Christophe Cambadélis. En cette époque, pour ma part, j’étais un des dirigeants nationaux de l’organisation trotskyste PCI, décrite parfois dans la presse sous le nom de lambertiste et n’étions pas dans la même tendance que François. Nous y étions même hostiles. Je le confesse, pour le lambertiste que j’étais, ces confrontations internes entre militants PS m’intéressaient peu, même si des choix stratégiques de circonstances nous avaient amené à faire tendance commune avec des jeunes chevènementistes d’alors comme Laurent Baumel et même des fabiusiens ! Sans doute que la Guerre du Golfe, et quelques manœuvres incompréhensibles, avaient justifié ses choix d’alliances assez baroques. Passons. Mais François Delapierre avait retenu mon attention par la qualité de son intervention méthodique faite à la tribune de ce Congrès qui se tenait à la Mutualité. Plus de 20 ans plus tard, j’ai oublié ce qu’il avait dit, mais la vérité est qu’il me fit forte impression. Il n’avait pas encore 21 ans (François est né le 4 novembre 1970), mais avait déjà une expérience militante non négligeable perceptible qui transpirait de ses paroles. Son engagement politique avait débuté au lycée, à l’occasion du grand mouvement lycéen et étudiant pour l’abrogation de la loi Devaquet en novembre et décembre 1986. C’est aussi un point commun avec moi. La direction de SOS Racisme, qui était alors une association à l’audience de masse significative, incomparable avec aujourd’hui, décida de construire un syndicat lycéen la Fédération Indépendante et Démocratique des Lycéens (la FIDL) dont François fut un des premiers Présidents élu lors d’un Congrès en 1988 (On m’a assuré que c’est F. Hocquard qui fut le premier président de la FIDL en 1987). En 1991 donc, il était déjà un militant chevronné ayant exercé des responsabilités. Il gardera toujours un intérêt particulier pour les questions liées à la jeunesse et à la question étudiante et fera ces dernières années de nombreuses conférences sur le sort que réserve le nouvel âge du capitalisme aux étudiants s’endettent pour décrocher un diplôme.
Durant ces années de jeunesse, ce qui m’avait frappé lors de notre première discussion, c’est qu’il était déjà un intellectuel de haute tenue. Surprise pour moi, il était même marxiste et se revendiquait comme tel. Et sa connaissance du marxisme dépassait déjà largement la mienne alors que je considérais, certes avec prétention, ma formation lambertiste en GER comme la plus performante. J’en fus un peu vexé vu qu’il était plus jeune que moi. Non seulement il avait une bonne connaissance d’ouvrages classiques de Karl Marx à Léon Trotsky comme Le coup d’état de Louis Napoléon Bonaparte La Révolution permanente ou Leur morale et la nôtre. Mais il fut par exemple le premier à me parler du philosophe et sociologue marxiste Georg Luckacs et particulièrement son Histoire et conscience de classe ou à me donner le goût de lire Antonio Gramsci, ce que je fis plus tard.
Ici je mélange un peu les dates de nos débats, car c’est surtout à partir de 1992 et 1993, sur le campus de Jussieu (Paris VII) que nous aurons des échanges et des discussions plus poussées. Pour des raisons que j’ai oubliées, après avoir fait l’IEP Paris et tout en étant inscrit à la fac de Nanterre où il obtint un DEA de sociologie, il s’était inscrit comme moi à la fac de Jussieu. Anecdote, pour la rédaction de son DEA qui portait notamment sur le précariat il sera livreur de pizza en mobylette ce qui lui vaudra quelques mésaventures qu’il prenait plaisir à raconter. Je reviens à Jussieu. Hasard, c’est dans mes cours de Licence de Rita Thalmann, grande spécialiste du nazisme, que nous nous sommes retrouvés. Nos échanges continueront désormais au gré de nos rencontres militantes (lui toujours à la Gauche socialiste où sa plume et son intelligence se font remarquer et moi à la LCR après mon exclusion du PCI. Le récit de cette exclusion et son caractère folklorique l’avait d’ailleurs beaucoup amusé). Mais c’est surtout en 1996, quand j’ai rejoint les rangs de la Gauche Socialiste logée au sein du PS que nous nous sommes retrouvés. Politiquement, nous ne quitterons plus. En 1998, ce travailleur acharné et méthodique accepte la proposition de devenir Secrétaire Général de SOS Racisme, en crise militante, qui n’a plus la splendeur militante des années 80. François est totalement lucide sur l’évolution de l’association et ses dirigeants, mais il relève le pari. A ses côtés, Raquel Garrido devient Vice-Présidente dont le Président de l’association est à ce moment-là Fodé Sylla. Cette année-là, dans plusieurs régions, droite et FN passent un accord de gestion. François impulse une orientation de harcèlement contre le FN afin d’éviter que la formation d’extrême droite se banalise et se notabilise en décrochant plusieurs vice-présidences de Régions. Cette ligne du « cordon sanitaire » autour du FN, portée par d’autres organisations il est vrai, porte ses fruits. Les divergences stratégiques au sein du FN, sur la façon d’appréhender ce que l’on nomme aujourd’hui la dédiabolisation pour faire rompre ce « cordon sanitaire » font in fine éclater l’appareil du FN entre Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret en 1999. Certes 16 ans plus tard, nous voilà face aux mêmes problématiques, mais nous avons gagné du temps. L’année précédente, pour apporter des réponses à la « préférence nationale » qui est au cœur du programme du FN, nous publions François et moi un petit livre « Un apartheid à la française, 10 réponses à la préférence nationale » (Editions Bérénice). Cet ouvrage sera publié sous la signature de SOS racisme mais c’est François qui en sera le principal auteur, y compris la préface signée du Président d’alors, avec moi dans une moindre part et pour certains chapitres. La rédaction de ce petit livre argumentaire, travaux d’été 1998, sera l’occasion pour moi de partager des vacances avec lui et de constater sa puissance de travail et de synthèse.
Deux années plus tard à force d’essayer de faire en sorte que l’association retrouve les voies d’un militantisme de terrain et d’une indépendance par rapport aux pouvoirs publics, François Delapierre jette l’éponge par lassitude et devant ce qu’il considère comme un échec. Cette prise de distance avec l’association antiraciste, toutefois pas avec ses militants qu’il appréciait toujours, est surtout un début de prise de distance avec Julien Dray. Je m’arrête sur ce point. Il faudrait pour faire une biographie politique précise de François raconter les relations très fortes qu’eurent François et Julien durant de longues années. Je ne le ferai pas car je n’en ai pas été le témoin direct. Il est toutefois indiscutable que Julien Dray joua un rôle important au début de l’engagement de François qui participa à la naissance de Questions Socialistes, premier regroupement des proches de Julien Dray dans le PS (avec notamment Harlem Désir, Isabelle Thomas, Frédéric Hocquard ou Patricia Philippe. Cette dernière fut aussi quelqu’un de très important dans la vie personnelle de François durant de longues années). Mais à la fin des années 90 cette complicité entre les deux n’est plus. Néanmoins, on m’a raconté dans la soirée que Julien a rendu un hommage émouvant à François au CN du PS qui s’est tenu hier, preuve que pour lui aussi François fut une des rencontres importantes de sa vie et que le temps n’avait pas effacé ce souvenir très vif.
La fin des années 90 est pourtant celle d’un tournant pour François et d’une rencontre intellectuelle avec un homme qui jouera désormais un rôle majeur dans la vie de François et réciproquement : Jean-Luc Mélenchon. Il faut pour être exact dire qu’ils se connaissaient déjà depuis des années, puisque Jean-Luc avait tôt repéré cette « tête bien faite » à l’intelligence vive. Entre François et Jean-Luc une solide complicité se noue en quelques mois. Les deux intellectuels se frottent désormais l’un à l’autre pour faire des étincelles. Chacun des deux tirent le plus grand profit de l’autre pour conceptualiser nos nouvelles tâches. Quand en avril 2000 Jean-Luc Mélenchon devient Ministre délégué à l’Enseignement professionnel, François rejoint immédiatement son cabinet où il met en place une équipe prospective qui sera utile au Ministre. Recruté en quelque sorte par François, j’ai l’honneur de faire partie de cette petite cohorte. A partir de cette époque également, il devient le rédacteur en chef du journal hebdomadaire A Gauche. Ses éditoriaux, rédigés au rasoir font mouche chaque semaine. De la sorte, il propose un fil à plomb politique aux dizaines de milliers d’abonnés qui sont les militants et sympathisants de notre mouvance. Ainsi, il a dû rédiger et publier près d’un petit millier d’éditos sur l’actualité sociale, politique, économique et internationale, qu’il pourrait être utile de compiler à l’avenir pour démontrer la clairvoyance et la hauteur de sa pensée. Et puis François avait une plume, mordante et synthétique. Jusqu’au bout, même très affaibli par la maladie il continuera à rédiger les éditos de A Gauche, aidé par Laurent, Matthias et aussi la fidèle Christiane Chombeau.
Au lendemain de l’élimination du candidat Lionel Jospin dès le premier tour en avril 2002, François commence à réfléchir. Nous cherchons à comprendre non seulement les raisons profondes de la défaite du candidat PS mais aussi celles des dérives de Jean-Pierre Chevènement proposant un combat pour la République « au-delà du clivage droite et gauche » avec la fortune que l’on sait. Nous voulons réfléchir à ce qu’il est convenu de nommer la gauche et ses traditions d’alliances héritées des années 70. D’autres questions jaillissent. De quelles façons rassembler le peuple ? Qu’est-ce que le Peuple ? Comment restaurer sa souveraineté ? Comment faire naitre les conditions d’une Assemblée Constituante pour une 6e République ? Comment intégrer écologie, socialisme et République ? Etc. Autour de Jean-Luc qui n’est plus Ministre, vertébrés organisationnellement par François, nous lançons en 2004 un club de réflexions et d’actions politiques : Pour la République Sociale (PRS). On y trouve nombre de camarades qui sont aujourd’hui des piliers du PG : Gabriel Amard, Manu Bompard, Helen Gilda Duclos, Laurent Maffeis, Matthias Tavel, René Revol, Jean Christophe Sellin, Guilhem Seyriès, Raquel Garrido, Christophe Robillard, Danielle Simonnet, Benoit Schneckenburger, Pascale Le Néouanninc, Tifen Ducharne, Wilfried Gounon, Emmanuel Girod, Laurent Matejko Hélène Le Caheux, Hélène Magdo et beaucoup d’autres qui m’excuseront de ne pas les avoir mentionné (vraiment désolé les amis..). Régulièrement, une Revue de PRS est éditée. François y publiera de très nombreux articles dont un brillant « La publicité, la culture de masse et la gauche » dans son numéro 2 en mai 2004 qui mérite encore d’être lu avec attention. Je m’y réfère encore régulièrement. Il se passionne également pour les travaux du sociologue Alain Accardo notamment De notre servitude involontaire et Le petit bourgeois gentilhomme qui portent sur les mécanismes de domination intellectuelle dans notre société ainsi que la moyennisation de la petite bourgeoisie. François Delapierre est alors celui qui rédige l’ensemble de nos Manifestes et textes théoriques de référence. PRS c’est lui. Ou du moins, sans lui PRS n’aurait jamais existé. Arrive la campagne de 2005 pour le Non au TCE. Notre petite embarcation PRS emprunte les grands torrents de l’Histoire. Nous jouons un rôle non négligeable dans cette campagne et François Delapierre avec Jean-Luc Mélenchon sont les figures majeures de notre campagne « Pour moi, c’est non ! ». Qui sera vu dans toute la France. Nous faisons tribune commune avec des camarades qui fonderont plus tard avec nous le PG comme Eric Coquerel et François Coq, sans oublier Martine Billard ou sous une forme différente Jacques Généreux.
Après la victoire du NON le 29 mai 2005 et le refus de sa prise en compte par le PS lors du Congrès qui suit, et même la désignation de Ségolène Royal pour la présidentielle de 2007 (!) la conviction de François que les voies d’une victoire des aspirations antilibérales de notre peuple ne passent plus par la rue de Solférino est acquise. Il est donc temps de préparer la rupture avec nos vieilles habitudes. François Delapierre sera donc l’artisan opiniâtre de la naissance du Parti de Gauche en novembre 2008 et du Front de Gauche. C’est d’ailleurs lui qui prendra la parole le premier lors de notre meeting de lancement en novembre 2008. Je dois avouer que dans les jours qui avaient précéder cette décision de quitter le PS, et le moment où le faire, j’ai eu des discussions assez longues avec François qui me décrit le prochain enchainement d’évènements avec une capacité visionnaire assez époustouflante et qui se confirmèrent dans le détail jusqu’en 2012. La suite est connue. Délégué national du PG, cheville ouvrière de toutes les décisions importantes, il impulse avec acharnement toutes les tâches permettant le développement de notre jeune parti. Il est partout, nuit et jour. Il mène de nombreuses campagnes électorales et en 2010, il est même élu Conseiller régional d’Ile de France. En 2012, il devient logiquement le directeur de campagne du candidat Jean-Luc Mélenchon. Cette aventure humaine et militante lui doit énormément. Il la portera à bout de bras, pas seul mais toujours en pointe. Le 18 mars 2012, la grande manifestation pour le 6e République qui rassemblera plus de 100 000 personnes Place de la bastille, c’est lui qui en sera le concepteur et le premier organisateur. Après cette présidentielle où notre candidat rassemblera près de 4 millions d’électeurs, François continuera sa tâche de lutteur infatigable. De son rôle majeur dans une des plus belles campagnes de la présidentielle qu’a connu la France, il ne tirera aucun avantage matériel ni le moindre mandat électoral particulier. Il continuera seulement à creuser son sillon, avec opiniâtreté mais aussi avec une imagination débordante. François était un créateur, un imaginatif. L’année 2013 fut celle où il participa à de nombreuses émissions de TV ou radios, ce à quoi je l’encourageais vivement et nous échangions souvent à ce sujet. Sa notoriété commençait à l’élargir significativement. J’ai souvenir notamment de son passage à On n’est pas couché animé par Laurent Ruquier pour présenter son ouvrage La bombe de la dette étudiante (Editions Bruno Leprince) en 2013.
Sa contribution intellectuelle ne faiblissait jamais. En 2013 toujours, à la rentrée il publiera un étonnant Délinquance, les coupables sont à l’intérieur (éditions Bruno Leprince) qui sera une contribution majeure pour une réflexion républicaine sur le rôle de la police et pour dénoncer les dérives actuelles voulues par Nicolas Sarkozy et continuée par Manuel Valls. Cet ouvrage est sans doute celui qu’il eut plus de temps de travailler, de fignoler et il restera comme une référence. Sans prévenir, François avait pris la décision de fouiller cette question sensible et, là encore le temps d’un été, il avait produit cette œuvre. Je regrette finalement que ce travail n’a pas été davantage valorisé alors que le thème de la sécurité est omniprésent dans notre vie politico-médiatique.
Tirant bilan des élections européennes de juin 2014 et le semi échec de ses résultats, la conviction de François était acquise à l’idée qu’il fallait nous révolutionner à nouveau et se redéployer politiquement sans reproduire mécaniquement des figures politiques déjà affaiblies comme le Front de Gauche, déchiré dans les contradictions municipales. Ses dernières contributions à notre direction nationale furent de dire qu’il fallait imaginer un grand Mouvement pour la 6e République. Il se réjouissait des processus politique en cours en Grèce et particulièrement en Espagne avec Podemos qu’il suivait de près en s’y rendant plusieurs fois, notamment pour présenter ses ouvrages. Mais déjà la maladie commençait à l’affaiblir. Un an plus tard il était emporté.
Ce portrait très personnel et rapide de François, qui déforme nécessairement les faits et leur enchainement, ne serait pas complet si j’oubliai de rappeler qu’il était aussi un grand mélomane, et que la musique l’a accompagné jusqu’au bout. Il était aussi un passionné de l’Asie. A partir du début des années 2000, il eut un coup de foudre pour la Chine où il se rendit plusieurs fois. Il fut aussi invité en Corée du Sud. Et puis bien sûr, comme nous tous, il s’intéressait à l’Amérique Latine et le Venezuela. Fin 2012, je me souviens d’un voyage avec lui à Caracas où nous avions participé à une série de Conférences sur la situation internationale et les dégâts de l’impérialisme sur la planète. Sa curiosité sur ce qu’il se déroulait là-bas était sans limite.
Il y aurait encore beaucoup de choses à raconter. Pour conclure cet hommage à celui que nous appelions tous Delap’ affectueusement, je repense à ce beau texte de Léon Trotsky rendant hommage à Jean Jaurès qu’il qualifiait « athlète de l’idée ». J’aime cette expression qui convient aussi à notre François. Il était un athlète de nos idéaux. Il les portait plus haut et plus loin que nous. En plus d’un intellectuel, ce fut aussi un lutteur très concret qui ne supportait pas de ne pas voir ses idées essayer de devenir des forces matérielles. Pour moi, François Delapierre était l’avenir, celui qui devait prendre bientôt le premier rôle pour incarner demain nos valeurs. Le destin en a voulu autrement. Etoile filante à la trajectoire plus courte que prévu dans le ciel de nos idées, la trace de la lumière qu’il vient d’y tracer reste toutefois d’une exceptionnelle intensité. Pour ceux qui comme nous ne croient pas à l’au-delà, c’est une première consolation.
François laisse donc aux vivants la trace de son exceptionnelle intelligence politique. A ceux qui restent d’en être digne.
Au terme de ce petit récit non exhaustif, qui ne parle que des facettes personnelles de « mon » François, mais il y en avait beaucoup d’autres, je pense une nouvelle fois à Charlotte, magnifique de dignité ces derniers temps, à ses deux petites filles qui n’auront pas assez connu leur père, à ses parents et à ses deux sœurs Emmanuelle et Laurence qui l’aimaient tant.
Salut François, je pleure et je t’embrasse et nous sommes très nombreux à en faire autant.