Laïcité : Alexis Corbière, foi d’insoumis Featured
Retrouvez mon portrait dans Libération
Le député LFI, chargé de représenter son groupe dans les débats sur le projet de loi «séparatisme», défend une stricte séparation des Eglises et de l’Etat et se désole de l’étiquette «islamogauchiste» associée à son parti.
L’apparence est trompeuse : Alexis Corbière est souvent rangé dans la bandedes durs. Le député de Seine-Saint-Denis parle et rigole fort. Le rugbyman sait aussi mordre : il peut exploser, comme lors de la perquisition au siège de La France insoumise, et connaît toutes les combines politiques sur le bout des doigts. Une autre vérité surgit lorsqu’on s’approche un peu. L’admirateur deMichel Sardou a un côté tendre. Les polémiques piétinent son petit coeur. Le martyr raconte souvent ses douleurs avec une petite voix. Il vit mal les conflits. Ces derniers mois, il a été rangé dans le tiroir des «islamogauchistes» avec ses copains insoumis. Une accusation qui le fait vriller. Elle est née après la participation de LFI à une marche organisée par de nombreux mouvements, notamment
le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF),pour lutter contre les actes antimusulmans. Alexis Corbière prend une voix grave pour sa défense : «Je ne suis ni islamiste ni gauchiste.»
Le gouvernement lui donne l’occasion de se faire entendre. Le projet de loicontre le «séparatisme» est examiné au Palais-Bourbon. Le député de Seine-Saint-Denis a été nommé chef de bande des insoumis. Il mène la baston encommission et dans l’hémicycle. La question de la stratégie du mouvement a été débattue : déposer des centaines d’amendements ou débattre sur le texte proposé par le gouvernement ? Ils ont opté pour le second choix. Le momentest important. Ils souhaitent prouver à la foule leur vérité. Alexis Corbière résume :
«Il suffit de chercher dans les archives, si l’un de nos détracteurs trouveun seul mot, une seule entorse à la laïcité dans notre camp. Nous sommes pour la séparation des Eglises et de l’Etat, de toutes les Eglises et de l’Etat.»
Le député a un point commun avec Jean Moulin : il a ouvert les yeux à Béziers, la ville de l’Hérault aujourd’hui dirigée par Robert Ménard. Uneenfance banale. Un petit pavillon, deux grands frères, une mère aide-laborantine et un père comptable. Le Tout-Puissant est présent à domicile.Alexis Corbière, l’enfant de choeur, rompt avec la religion au lycée. Lapolitique prend le relais. Elle arrive par les événements et la rue : il défend Mandela et s’oppose au projet de loi Devaquet, sur la sélection à l’université.Dans la foulée, le jeune militant met un pied au Parti socialiste. Il tombe sous le charme de Jean-Luc Mélenchon et dans les bras de Raquel Garrido. Le«papa poule» (il a trois filles) partage toujours sa vie avec eux. La chroniqueuse de Cyril Hanouna le surnomme «George Clooney» : l’amour rend aveugle.
Alexis Corbière est fidèle à Jean-Luc Mélenchon. Pas un mot de travers enpublic, même lorsque le candidat à la présidentielle loupe un virage. Il portesa parole dans toutes les circonstances. Les brouilles sont rares ; les points communs nombreux. Ils aiment les grandes dates du passé, notamment laRévolution française – Alexis Corbière le «jacobin» a longtemps enseigné l’histoire dans un lycée professionnel. Les différences existent aussi. Le chef Mélenchon ne craint pas les ruptures ; le natif de Béziers, lui, tente toujours de recoller les morceaux à la moindre friction.
Les députés marcheurs qui ont croisé sa route ces derniers jours le dessinent comme ça : le dialogue est possible sur un sujet explosif.
«Je suis un peu surpris, il n’est pas totalement démagogique et il écoute nos arguments. On pensait que les insoumis feraient ensorte de pourrir le débat, mais le pourrissement vient de la droite qui est dans la surenchère»,
explique l’un d’eux.
Posé dans la salle de presse de l’Assemblée nationale, Alexis Corbière a de petits yeux. Les débats sont longs et les nuits courtes. Le député pousse pour la fin du régime concordataire en Alsace-Moselle. Il revient sur une rencontre avec le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, à l’automne. Le quinquagénaire était en compagnie de son jeune collègue Adrien Quatennens. Une longue discussion sur la laïcité : «On lui a dit que nous sommes favorables au contrôle des finances des lieux de culte et à l’exemplarité des élus de la République. C’est toujours intéressant de parler avec Gérald Darmanin. Parfois il monte dans les tours mais il sait être précis, contrairement à MarlèneSchiappa [ministre déléguée à la Citoyenneté, ndlr] qui ne connaît pas la nuance et qui est sans cesse à la recherche de la polémique.»
L’ancien professeur se désole. Il espérait que le projet de loi serve à trouver des solutions pour lutter contre le terrorisme en proposant un nouveau chemin à la jeunesse et aux écoles en souffrance. Il se retrouve à défendre les femmes voilées quiaccompagnent leurs «mômes» en sortie scolaire.
«Traitement égal»
Un bout de la gauche, notamment socialiste, guette les insoumis du coin de l’oeil depuis cette fameuse marche. Un député rose :
«Je ne dis pas que les insoumis ne sont pas dans le camp des laïcs. Le problème, c’est qu’ils mettent tous les musulmans dans le camp des victimes et cela aggrave les fractures existantes.» Des mots qui agacent Alexis Corbière. L’insoumis demande «seulement» un «traitement égal»
pour toutes les religions. Le député admet aussi que son regard a changé depuis son élection de l’autre côté du périphérique :
«On parle toujours des femmes voilées, parce que c’est toujours plus facile de s’attaquer aux femmes et de regarder les choses de loin. Mais lorsque tu arrives dans un quartier et que tu croises une femme voilée qui participe à la vie culturelle, éducative et associative, tu lui demandes de rentrer chez elle parce qu’elle porte un voile ?»
Alexis Corbière, désir de rouge
L’admirateur de Michel Sardou aime raconter les anecdotes. Il se souvient d’un échange entre les élus de Seine-Saint-Denis et le préfet. C’était l’été dernier, quelques jours après les élections municipales. Alexis Corbière a demandé le nombre exact de listes «communautaires» dans le département. La réponse : aucune. «Je ne dis pas que ça n’existe pas ici ou là, argue-t-il,
mais mon téléphone a sonné durant toute la campagne, la presse me posait des questions et je ne savais pas trop quoi répondre. Je ne voyais pas de listes communautaires dans ma circonscription, donc forcément je passais pour un menteur ou un naïf.»
Une manière de dire que les étiquettes dans le dos ne sont pas simples à arracher. On n’oublie pas que le tendre aime aussi en coller.