Alexis Corbière

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Tribune : Le concordat de la discorde

Tribune : Le concordat de la discorde Featured

Retrouvez ma tribune publiée ce jour sur le site internet du JDD : https://www.lejdd.fr/Politique/tribune-alexis-corbiere-depute-lfi-laffaire-de-la-mosquee-de-strasbourg-ou-le-concordat-de-la-discorde-4034460

Pas facile d’être député de la majorité LREM et de rester cohérent. Il aura fallu à peine plus d’un mois pour que l’édifice bancal de la mauvaise loi, bien mal nommée, « confortant le respect des principes de la république » (dite aussi loi séparatisme) se fissure et que l’hypocrisie de ses promoteurs, le ministre de l’Intérieur et la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, n’éclate au grand jour.
« L’affaire » de Strasbourg agit depuis quelques jours comme un puissant
révélateur de la tartufferie gouvernementale. La maire EELV de Strasbourg et sa majorité municipale ont voté, lundi dernier, le principe une subvention de 2,5 millions d’euros à Millî Görüs, une association musulmane très conservatrice d’obédience turque, pour la construction d’une nouvelle mosquée dans le quartier de la Meinau.

Je considère qu’il n’est pas acceptable que de l’argent public aille à la construction d’un lieu de culte quel qu’il soit

Pour ma part, je considère qu’il n’est pas acceptable que de l’argent public aille à la construction d’un lieu de culte quel qu’il soit. Certes, en Alsace, ce n’est pas une nouveauté. A Strasbourg même, la ville a versé 22 millions pour les lieux de culte depuis 2008, toutes mandatures confondues, selon l’actuelle maire, élue en 2020. La précédente municipalité, dirigée par le PS, a participé notamment au financement de la construction d’une première grande mosquée dans cette ville, inaugurée à l’époque par Manuel Valls alors Premier Ministre, et autre grand hypocrite dans cette histoire. Diverses collectivités d’Alsace et de Moselle – dont les conseils départementaux dirigés par la droite – font de même. Ce qui n’enlève rien au problème. « Mais c’est permis par la loi », me dit-on. La loi de la République ? Non, pas exactement. Si le conseil municipal de Strasbourg peut voter une subvention à une religion, c’est que la grande loi laïque de 1905 qui a séparé les Eglises de l’Etat, ne s’applique pas dans le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et en Moselle. Parce que ces trois départements étaient allemands de 1871 à 1918, et qu’une majorité réactionnaire et cléricale refusa d’y étendre la loi de Séparation quand ils redevinrent français, le concordat napoléonien se maintient jusqu’à aujourd’hui sur ces territoires. Les curés, pasteurs et rabbins y sont des agents publics financés par les impôts de tous les Français pour un total de près de 65 millions d’euros chaque année. Les pouvoirs locaux continuent à pouvoir distribuer de
l’argent public aux religions, non sans clientélisme électoraliste. Ce privilège maintenu depuis Napoléon pour les cultes catholique, réformé, luthérien et juif est aujourd’hui un peu élargi à l’islam, par souci d’équité me répond-on. Cela ne change rien à la gravité de l’atteinte au principe de séparation des Eglises et de l’Etat.

Une mesure simple réglerait d’un coup le problème : étendre la loi de 1905 aux départements où elle ne s’applique pas

Un gouvernement soucieux de « conforter » les principes républicains se
saisirait du cas de Strasbourg pour prendre la mesure simple qui réglerait d’un coup le problème : étendre la loi de 1905 aux départements où elle ne s’applique pas. Son article 2 énonce que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » et interdit en conséquence tout financement public des religions.
Mais c’est tout le contraire que vise le gouvernement si l’on considère bien pour ce qu’elles sont les démonstrations outrées des ministres Darmanin et Schiappa : des monuments d’hypocrisie laïque. Le ministre de l’Intérieur réclame à la justice administrative l’annulation de la délibération du conseil municipal de Strasbourg au motif que l’association bénéficiaire serait liée à un Etat étranger et que ses dirigeants refuseraient de signer la charte de l’islam de France rédigée à l’initiative de son ministère. Ce n’est donc pas le manquement au principe de séparation des Eglises et de l’Etat qui inquiète le ministre mais que l’association religieuse musulmane ne se plie pas à une charte qui n’a pourtant aucun caractère juridique contraignant. Ce n’est pas la distribution d’argent public à une religion qui irrite Gérald Darmanin, mais que le culte ne se soumette pas aux conditions du ministre.
Soyons clair. Je n’ai, comme tout militant laïque, aucune sympathie pour le
gouvernement islamiste de monsieur Erdogan qui impose un projet obscurantiste au peuple turc, emprisonne ses opposants démocrates et les défenseurs de droit de l’Homme, et attaque nos alliés kurdes pendant qu’ils se battent contre Daesh. Si Erdogan manipule en France, comme c’est probable, des associations religieuses ou culturelles, ses manœuvres doivent être déjouées : c’est une affaire de renseignement, de police et de justice. La loi ne manque pas d’arguments pour agir à partir de faits établis et non de simples allégations. Mais on voit bien comment cette lamentable affaire de Strasbourg risque de finir, la ville ayant malheureusement, aujourd’hui, le droit pour elle. La laïcité en sortira affaiblie.

Les irresponsables qui rêvent d’étendre le système concordataire à l’ensemble du pays en seront mêmes raffermis. C’est le cas de quelques députés LREM : l’un d’eux, élu en Alsace, m’a répondu à l’occasion d’un débat, qu’il souhaitait rien moins que l’extension du concordat à tout le pays ! On imagine la confusion si, dans chaque commune de France, la municipalité avait à juger ce qu’est une bonne ou une mauvaise obédience religieuse et qui mérite d’être financé ou non. Quel recul ! C’est dire la confusion qu’il règne dans les rangs de la majorité. Notons que les amis de madame Le Pen m’avaient, eux aussi, violemment attaqué pour défendre le concordat. Chacun appréciera les alliances anti-laïques entre élus LREM et RN.

Monsieur Darmanin aura alimenté de façon incohérente, une fois de plus pour exister médiatiquement, une triste polémique

En fin de compte, monsieur Darmanin aura alimenté de façon incohérente, une fois de plus pour exister médiatiquement, une triste polémique. Madame Schiappa, de son côté, pense tirer avantage de jeter l’anathème pour islamo- gauchisme sur les écologistes alsaciens. Petites manœuvres politiciennes et grande hypocrisie laïque !Si le gouvernement était sincère, il mettrait en œuvre une solution simple : l’abrogation des dispositions concordataires dans les territoires où la séparation des Eglises et de l’Etat ne s’applique pas encore. C’est ce que les députés Insoumis proposent. Alors, la question de financer la construction de lieux de culte avec de l’argent public ne se poserait plus, ni pour la mosquée Millî Görüs de Strasbourg, ni pour aucun édifice de n’importe quel culte en Alsace-Moselle, comme c’est heureusement déjà le cas dans le reste de la France. Sans concordat, les amis d’Erdogan ne pourraient ni solliciter, ni recevoir d’argent public.
Mais d’évidence, régler ce problème n’est pas ce que cherchent les ministres
Darmanin et Schiappa. Démasqués, ils paraissent aujourd’hui pour ce qu’ils
sont : les meilleurs amis du système concordataire, qui veulent mettre toutes les religions, à commencer par l’Islam, sous le contrôle de l’Etat, se mêler de leur organisation et leur octroyer en échange des financements publics. Ceci n’a rien à voir avec la laïcité et la loi de 1905.
Collègues députés de la majorité, si vous êtes attachés à la laïcité, vous n’êtes pas dans l’obligation de suivre les provocations de ministres aventuristes qui ne font que souffler dans les voiles de l’extrême droite. Défendons la liberté de conscience, la liberté des cultes et la séparation des Eglises et de l’Etat.
Abrogeons une bonne fois pour toute le concordat !

« Il faut mettre fin au ‘séparatisme scolaire’ ! »

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Retrouvez ma tribune dans Le Journal Du Dimanche

Alexis Corbière, député France insoumise de la Seine-Saint-Denis et enseignant de profession, dénonce la « ségrégation » apparue au sein de l’école publique, qui « fait le lit du repli identitaire et religieux ».

« ‘L’école […] est attaquée et notre capacité à intégrer est remise en cause’. Qui parle ainsi? Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, dans les premières pages de son court ouvrage, Le Séparatisme islamiste (Éditions de l’Observatoire). Un tel constat mérite que l’on s’y arrête. Mais la plus brutale attaque que subit notre école est-elle celle de ce séparatisme islamiste aux contours bien difficile à définir? Si notre école va de plus en plus mal, à qui la faute? Cent trente-neuf ans après les grandes lois Jules Ferry, force est de constater que nos écoles sont désormais la caisse de résonance des terribles inégalités sociales et urbaines, peinent à les corriger ou les reproduisent. Le financement public des écoles privées, depuis 1959 et la loi Debré, n’y est pas pour rien.

Ce financement public du privé, essentiellement confessionnel, coûte 12 milliards d’euros par an au contribuable. C’est 20% du total des recettes de l’impôt sur le revenu. Et tout cet argent dépensé renforce le creusement des inégalités, les établissements privés accueillant deux fois plus d’élèves d’origine sociale favorisée que ceux du public. Ce phénomène est en constante aggravation : chaque année, la part d’élèves issus de milieux défavorisés augmente dans le public et recule dans le privé. À Paris par exemple, un quart des élèves scolarisés dans les collèges publics sont issus de familles défavorisées. C’est six fois plus que dans les collèges privés.

La motivation hors du commun des enseignants ne suffit plus

En plus de cette concurrence entre public et privé, une autre ségrégation est apparue, cette fois au sein même de l’école publique. En effet, selon le quartier où ils se situent, les établissements n’accueilleront ni la même population, ni les mêmes équipes pédagogiques. Ici les meilleurs élèves, issus de milieux bourgeois, encadrés par des enseignants en fin de carrière et installés dans des locaux bien entretenus. On y recense 30% à 50% de mentions bien et très bien aux examens de fin de cycle. Là les élèves en difficulté, avec de jeunes profs et des équipes peu expérimentées, placés dans des bâtiments dégradés. On y atteint péniblement 13% de mentions bien et très bien. Les dérogations à la carte scolaire, devenues légion dans certaines communes, empêchent toute correction, même mineure, de ce séparatisme qui ne dit pas son nom.

Nos enseignants travaillent sans réserve pour corriger ces inégalités criantes. Mais leur motivation hors du commun ne suffit plus.

La progression des écoles privées et l’instruction en famille puisent leur source dans ce délabrement organisé de l’école publique

Il faut mettre un terme à la dimension systémique de ces inégalités qui séparent de plus en plus nos concitoyens selon leur origine sociale et leur lieu d’habitation. C’est ce que je nomme par provocation le « séparatisme scolaire ». À quoi bon légiférer sur des choses anecdotiques quand on laisse chaque année plus de 100.000 de nos enfants, surtout ceux des milieux populaires, finir leur parcours scolaire sans diplôme? Pourquoi accepter que la classe sociale d’origine détermine les conditions d’apprentissage futures? Cet aveuglement fait le lit du repli identitaire et religieux. La progression des écoles privées et l’instruction en famille puisent leur source dans ce délabrement organisé de l’école publique.

Il ne s’agit pas ici de faire des reproches aux familles qui font le choix de l’école privée, ou d’autres modes d’instruction, pour leurs enfants. Les parents ne sont donc pas à blâmer : beaucoup veulent simplement le meilleur pour ceux qu’ils aiment. Le système et les politiques qui provoquent cela ont tant abîmé l’école publique dans les villes populaires. Parce qu’il ne dit pas un mot de tout cela, le texte du gouvernement est essentiellement posture et diversion.

Retrouvez ci-dessous un extrait de mon discours sur le séparatisme scolaire :

Retrouvez ci-dessous mon discours en intégralité, dans lequel j’ai exposé la position du groupe parlementaire La France insoumise sur le projet de loi principes républicains.