La décision de Manuel Valls, si l’on en croit la presse sans l’accord de François Hollande, d’interdire une manifestation appelée par la grande majorité des organisations syndicales de salariés, est inédite, illégal, inacceptable et inquiétante.
Inédite, car il faut remonter loin dans notre histoire nationale pour voir interdite une manifestation appelée par la CGT, la FSU et FO. Formellement, cela n’est même jamais arrivée en Ve République ni en IVe République. Même durant la guerre d’Algérie, la CGT pu continuer à manifester sur les questions sociales. L’interdiction de manifester (scandaleuse par ailleurs) fut portée ponctuellement sur la question algérienne et nous étions alors en guerre depuis 1954. Seule la manifestation de mars 1962 (connue pour les 9 meurtres de syndicalistes de la CGT au Métro Charonne) fut interdite. Triste précédent. Des historiens estiment même qu’il faut remonter à la seconde guerre mondiale pour voir interdite l’action des grandes confédérations syndicales. Sidérant. On comprend mieux pourquoi Manuel Valls préfère Georges Clémenceau le « briseur de grèves » qui envoyait la troupe contre les manifestants en 1906 à Jaurès toujours du côté du peuple.
Illégale, car le gouvernement a une obligation positive de faire respecter la liberté de manifester, liberté fondamentale protégée par la Constitution et le droit international. En l’espèce, le gouvernement n’a pas tout mis en œuvre pour garantir cette liberté, en prenant en compte par exemple les propositions alternatives de parcours de syndicats, voire en suspendant les matches de l’Euro 2016. Mon hypothèse est que cette illégalité sera constatée soit dans les faits demain par le nombre présent dans la rue, soit par la justice, soit par l’Histoire… et par les urnes en 2017 !
Inacceptable, car le droit de manifester est une liberté fondamentale en République surtout pour des syndicats représentatifs majoritaires chez les salariés. Où va-t-on ? Cette décision folle, contestée actuellement devant les tribunaux administratifs, voit se dresser contre elle l’unanimité des organisations syndicales. Toutes, oui toutes, y compris les deux qui sont favorables à la loi El Khomri (UNSA et CFDT) disent non à l’interdiction de manifester. L’accepter aujourd’hui c’est la porte ouverte à toutes les dérives demain. C’est préparer le terrain pour ceux qui voudront mettre en œuvre des politiques encore plus autoritaires. On ne joue pas avoir les libertés publiques.
Inquiétante, car après le 49 3 actant le fait que le gouvernement est minoritaire au Parlement, après les puissantes manifestations, les études d’opinion qui montrent encore que 65 à 70 % ne veulent pas de cette loi, ce gouvernement s’entête. Il n’a plus de légitimité. Le nouvel âge du capitalisme ne fait pas bon ménage avec la démocratie. Et demain ?
Pour ce gouvernement, il est donc autorisé de se rassembler dans des fans zones où des marchands de bière vendent leurs produits défiscalisés. On peut se rassembler pour remplir les caisses de l’UEFA. Il est possible de mobiliser 75 000 policiers pour encadrer des hooligans. Mais il est désormais interdit de dire non à une régression du Code du Travail, sous prétexte de casseurs qu’il est curieux que nul ne les maitrise.
Même Nicolas Sarkozy, Juppé et compagnie n’avaient pas osé interdire les manifestations. Je soutiens d’avance la décision que prendront les organisations syndicales pour demain. Depuis le début du conflit, ils font preuve d’une grande responsabilité, loin de la fébrilité gouvernementale. Mais, il est temps de montrer par millions que face à un pouvoir autoritaire et minoritaire, il faut savoir être insoumis pour faire vivre une certaine idée que l’on se fait de la démocratie et de la République…