J’ai eu l’honneur de rencontrer ce mardi 15 août à Tunis l’avocate Radhia Nasraoui actuellement en grève de la faim. Je suis allé lui apporter symboliquement le soutien fraternel et amical du groupe parlementaire de la France Insoumise et particulièrement de son Président Jean-Luc Mélenchon. Je lui ai remis notre programme L’avenir en commun dédicacé de mots de soutiens personnels par l’ensemble des parlementaires du groupe France Insoumise à l’Assemblée nationale. Après cette rencontre, j’ai répondu à des interviews pour des chaînes d’informations tunisiennes, même si le reste des médias locaux sont hélas assez silencieux sur cette affaire. Je crois pouvoir dire que j’apportais avec moi également le soutien de tous ceux qui en France se considèrent comme Insoumis. Lors de cette visite, j’ai pu aussi rencontrer d’autres dirigeants du Front Populaire comme Ahmed Essadik Président du groupe Front Populaire à l’assemblée nationale tunisienne (qui compte 15 députés) ou mon amie Mouna Mathari.
Il est important qu’en France tous les démocrates soient informés de la situation qui entraine cette action extrême et dangereuse pour la santé de cette militante exceptionnelle, inlassable défenseuse des Droits de l’Homme, connue dans son pays, mais aussi au-delà, pour son engagement contre la dictature de Ben Ali et les violences policières passées et présentes.
Radhia Nasraoui a débuté sa grève de la faim le 11 juillet 2017, c’est à dire 36 jours. Par cet acte grave, elle entend dénoncer la levée partielle de la protection policière de son mari Hamma Hammami, porte-parole du Front Populaire et ex candidat à l’élection présidentielle en Tunisie en 2014 où il avait rassemblé 7,8% des suffrages (c’est à dire la troisième position derrière le candidat du parti Nidaa Tounes, devenu Président M. Béji Caïd Essebsi, et celui du CPR du président sortant M. Moncef Marzouki).
Cette protection avait été mise en place par les autorités tunisiennes au lendemain des assassinats de deux autres leaders du Front Populaire, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi en février et juillet 2013. Quatre ans plus tard, les menaces terroristes à l’encontre de personnalités comme Hamma Hammami n’ont pas disparues, même si de nouveaux crimes politiques n’ont heureusement pas eu lieu. De l’aveu même du cabinet présidentiel, on sait que des groupes armés comme Oqba Ibn Ennafa ou Ansar El Charia (liés à Daesh et protégés dans le passé par Ennahda lorsqu’il était au pouvoir) le placent encore en haut des listes de leurs cibles potentielles. Pourtant, le président Béji Caïd Essebsi a décidé fin mai de restreindre sa protection, jusqu’alors assurée par la garde présidentielle, aux seuls événements publics ou quelques réunions. Il a décidé d’en confier la responsabilité au ministère de l’intérieur. Aucune raison n’a été avancée pour justifier cette modification. Le problème majeur est que la qualité de la protection n’est plus du tout la même. Elle n’est pas permanente et se limite à un accompagnement de Hamma lors de ses actions publiques planifiées à l’avance. Le reste du temps il lui est conseillé de rester chez lui. Ce n’est pas tolérable de préconiser cela à la troisième force politique du pays. J’ai pu constater par moi-même, en me rendant à son domicile, cet état de fait inquiétant. Je ne veux pas livrer ici plus de détails qui mettraient en danger Hamma Hammami, mais je m’élève au passage contre les rumeurs, que je lis ici ou là ou qui se racontent dans certains milieux, qui sous-entendent qu’il dispose encore d’une protection policière 24/24h et que cette grève de la faim n’est qu’une action de communication du Front Populaire, dans un but de basse propagande, ou pire un caprice. Tout cela est faux, je l’ai constaté. Faux et indigne.
Radhia et Hamma sont des militants courageux qui ont connu tous deux la répression sous la dictature. Ce dernier fut emprisonné de nombreuses années, souvent frappé par la police à diverses occasions et torturé gravement lors de sa détention. Ces militants extraordinaires de courage, qui ont risqué leurs vies pour leurs idées, ne mènent pas des actions à la légère pour attirer l’attention des médias vers eux. Toute leur vie témoigne de leur intégrité. Les courriers adressés par Radhia Nasraoui à deux reprises à la présidence de la république et au chef du gouvernement pour demander des explications suite à cette décision sont restées lettre morte. Pourquoi ? « C’est mon droit de savoir » clame-t-elle. Et elle a raison.
Il est clair que les motivations de la levée partielle de la protection de Hamma Hammami ressemblent à une punition d’ordre politique. Sa voix dérange vraisemblablement le paysage officiel qui semble ne vouloir queEnnadha comme opposition afin de figer une vie politique bipartite : le pouvoir en place ou les religieux. Mais les aspirations du peuple tunisien sont plus complexes. Les positions du Front Populaire dénonçant la politique de la coalition gouvernementale, ainsi que l’appel à des élections législatives et présidentielles anticipées suscitent de plus en plus la colère du régime. On peut donc imaginer qu’il s’agit de représailles pour faire peur et faire taire le Front Populaire. La rancœur du gouvernement semble tenace depuis notamment que le groupe Front Populaire, appuyé sur une forte mobilisation de la société civile et aussi il est vrai de députés d’autres formations, ont rejeté en juillet 2015 le projet de loi, voulue par le Président, « relative à la réconciliation économique et financière », en clair une loi d’amnistie des corrompus et complices de l’ancien pouvoir qui s’étaient enrichis avec l’ombre de la dictature.
Bien sûr la Tunisie se retrouve aujourd’hui face à de nombreuses difficultés qui ne se limitent pas à la sécurité de dirigeants politiques. Mais la démocratie et la libre expression de tous est la condition sine qua non pour que le pays avance. Nul ne doit avoir peur d’exprimer ses idées, en public ou dans les médias. On doit pouvoir dénoncer la corruption ou l’obscurantisme des religieux qui font de la politique. Les groupes religieux armés (et la porosité avec la frontière lybienne entraîne l’entrée d’armes illicites) sont toujours là comme une menace, la corruption progresse (elle se « démocratise » pourrait-on dire avec ironie) et cela préoccupe beaucoup la population. Les organisations qui ont exercé le pouvoir depuis la révolution sont secouées par de graves crises internes qui les ont affaiblies. Et, dans ce contexte, bien des tunisiens pensent que le Front Populaire peut devenir à l’occasion des prochaines élections municipales la force en progression électorale. Est-ce aussi cela qui inquiète le pouvoir ? C’est une hypothèse crédible.
Je demande donc, comme tous mes amis, que le gouvernement tunisien entende la requête de Radhia Nasraoui. Jean-Luc Mélenchon et d’autres formations politiques françaises se sont déjà adressés au Président de la République tunisien. Nous attendons des réponses claires. Je demande également à la presse française de faire connaitre le plus largement possible cette situation. Logiquement, beaucoup de journalistes français avaient bénéficié de protection policière lorsque leurs noms avaient été retrouvés sur des listes de criminels djihadistes. Je forme le voeu que ces journalistes soient sensibles à l’inquiétude de Radhia et nous aident. Il ne s’agit pas ici de partager toutes les propositions du Front Populaire de Tunisie. On peut même être en radical désaccord mais seulement partager la volonté que cette voix originale, sociale, laïque et éprise de justice puisse se faire entendre sans risquer sa vie.
Nous sommes nombreux à aimer la Tunisie et son peuple généreux. Nous ne voulons pas pleurer demain la mort d’un autre de nos frères. J’espère que nous serons entendus. La santé de Radhia se dégrade. Il faut agir vite.