Je reviens sur un incident qui s’est produit la semaine dernière à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’un échange verbal « musclé » avec les députés FN, des LR, Manuel Valls d’un coté et votre serviteur , ainsi que mes amis députés FI de l’autre. Cette joute a fait le bonheur des réseaux sociaux. Je crois donc utile de revenir sur cet étrange terme d’«islamo-gauchiste », utilisé plusieurs fois par nos adversaires contre notre groupe de députés aussi bien par l’extrême droite en la personne de Bruno Bilde, le député LR Guillaume Larrivé, que par l’ancien premier ministre PS du gouvernement Hollande (lors d’une émission de BFM TV). Ce dernier avait également utilisé ce terme contre Benoit Hamon lors de la primaire PS. C’est une expression qu’il dégaine facilement sitôt qu’il est en difficulté.
Vous avez dit « islamo-gauchiste » ? Kesaco ? Cela veut-il désigner un musulman qui aurait des convictions de gauche ? Non, ce n’est pas cela dans l’esprit de ses auteurs (encore que…). A priori cette expression-valise ne signifie rien de précis. C’est pourquoi elle plaît tant aux fainéants intellectuels réactionnaires ne tolérant pas la présence de musulmans en France. Elle peut tout vouloir dire et son contraire. Pratique. Elle fait donc le bonheur de ceux qui n’ont pas d’arguments réels contre la France Insoumise. Elle insinue, jette le doute, trouble, calomnie, mais n’apporte aucune caractérisation précise.
Je ne suis pas naïf. Il y a néanmoins une idéologie induite par ce terme. C’est pourquoi je récuse radicalement cette caractérisation car j’en mesure les sous-entendus ignobles. A l’heure où nous discutions à l’Assemblée d’un projet de loi contre le terrorisme, que nous jugeons négativement puisqu’il restreint les libertés publiques (tout comme la LDH, le SAF et même l’ONU !), ce mot valise cherche à assimiler ceux qui en sont affublés à des complices ou des alliés des criminels qui ont endeuillé notre pays. Il est là pour empêcher de réfléchir et pour faire peur. Dans l’esprit de celui qui le professe « islamo-gauchiste » veut donc dire d’une certaine façon « ami des terroristes » ou « complaisant avec les criminels ». Ignoble. Existe-t-il le début d’un élément, je n’ose dire d’une preuve, pouvant amener à penser sérieusement que nous serions des complices des assassins ? Bien sûr que non. Mais, nos adversaires, du FN à Valls, ne s’embarrassent pas de détails, ils travaillent à la truelle.
Mais allons plus loin. Comment est construite cette drôle d’expression nauséabonde ? Prenons la première partie « islamo ». C’est à dire relatif à l’Islam. Quel est notre rapport à l’Islam ? Est-il trouble ? Avons-nous une obsession pro-islam ? Non, il est le même que tout citoyen réellement laïque et républicain. L’islam est une religion qui compte des fidèles sur le territoire national. C’est une grande religion de France. Les musulmans ont le droit de pratiquer. Qui veut leur interdire ? La République garantie la liberté de culte. Je suis un défenseur de la grande loi laïque du 9 décembre 1905. Ni plus, ni moins. Il y a évidemment des citoyens musulmans (tout comme des catholiques, des protestants, des juifs… Et des non croyants) qui se reconnaissent dans les idées de la France Insoumise, mais j’en ignore les proportions et cela ne m’intéresse pas. Pas plus que les musulmans que je connais ne revendiquent leur conviction spirituelle comme une identité politique. Ils veulent juste qu’on les traite comme tous les citoyens, et ils ont bien raison. J’ai le même regard « critique » vis à vis de l’Islam que toutes les autres religions. Attaché à l’émancipation laïque, je ne pratique néanmoins pas non plus l’anticléricalisme militant. Au passage, être considéré en 2017 comme étant pro-islam est d’autant plus grotesque que je fais partie de ceux, comme Jean-Luc Mélenchon, qui sont favorables à l’interdiction des signes religieux dans les écoles (et notamment à la loi de 2004). Cette position de principe m’a valu parfois d’être affublé par certains du nom de « laïcard ». Et oui, il y a des rageux dans tous les camps. Qu’importe, je suis un laïque et fier de l’être.
Je profite aussi de l’occasion pour préciser, si certains souhaitent entrer dans les micros détails, qu’il a bien existé un petit groupe politique en France, se réclamant du théoricien britannique marxiste Tony Cliff, dirigeant du Socialist Worker Party (SWP), qui a essaimé dans notre pays en donnant naissance à un groupuscule nommé Socialisme International (SI) ou Socialisme par en bas (SPEB) qui a milité activement il y a une dizaine d’années en défense selon eux « des jeunes filles voilés » et la présence dans les écoles publiques de signes religieux. C’est pour les désigner que j’ai entendu pour la première fois le terme « d’islamo-gauchiste ». Mais quel rapport avec la France Insoumise d’aujourd’hui et cette activité confidentielle ? Aucun. Je n’ai jamais été d’accord avec ce type de petits groupes qui confondent la lutte pour l’émancipation avec une forme d’assignation à résidence communautaire, et qui fait de la laïcité républicaine un prolongement de l’ordre colonial. La lutte pour l’égalité des droits ne peut se confondre avec l’exaltation de particularismes qui séparent les citoyennes et les citoyens.
Revenons à la controverse. La France insoumise est claire, si des criminels tuent au nom d’une religion, ils doivent être châtiés et leurs complices neutralisés au plus vite. Il faut assécher les foyers d’obscurantisme qui mènent à la violence. Cela s’applique à toutes les religions. Mais, aucun esprit sérieux, hormis quelques ultras, ne peut considérer que l’islam est par essence meurtrier ou terroriste, naturellement plus violent que les autres religions, au point de considérer mécaniquement que les millions de français musulmans seraient en quelque sorte une armée de réserve. Je récuse cette vision folle. Est-ce la vision de ceux qui utilisent cette expression ? Y aurait-il une menace générale venant de tout ce qui est lié à l’Islam ? Sans doute, les responsables du FN pensent ainsi, mais comment un homme comme Manuel Valls peut-il alimenter cette idéologie, si ce n’est au prix de sa dignité ? Oui, dans certains quartiers de notre pays, des extrémistes, se référant parfois à Daesh, sèment la haine, cherchent à enrôler des esprits faibles pour semer la mort. Oui, c’est une évidence certains le font au nom d’une lecture de Islam. Mais est-il tolérable d’utiliser le préfixe « islamo » pour amalgamer tout cela ? Non, d’autant qu’il existe une autre réalité dans notre pays : c’est le racisme anti musulman et anti arabe. Et la France insoumise dénonce aussi ce racisme, tout comme elle dénonce l’antisémitisme et toute forme de discrimination.
C’est là qu’est la perversion des auteurs de l’expression « islamo-gauchiste » : pour eux quiconque s’oppose au racisme anti-musulman est montré comme un allié des fondamentalistes et des violents. On ne peut bâtir une société complexe avec des arguments aussi simplistes.
Observons maintenant l’autre partie de l’expression : « gauchiste ». D’où vient ce mot ? Pour l’essentiel, il a connu son heure de gloire avec un ouvrage de Vladimir Illich Lénine publié en 1920 sous le titre « Le gauchisme, maladie infantile du communisme». C’est une rude polémique, menée par Lénine contre des groupes hollandais, britannique, allemand qui veulent développer une orientation anti-parlementaire. Depuis l’assassinat de Rosa Luxemburg en 1919 et du député Karl Liebknecht avec le soutien des sociaux-démocrates allemands, des groupes « conseillistes » et de la « gauche communiste » considèrent que participer à des élections est une impasse. Ils refusent aussi d’adhérer à des syndicats qui ne sont pas communistes. Lénine n’est pas d’accord avec son orientation qu’il juge à juste titre sectaire. C’étaient eux les gauchistes. Ceux qui ne voulaient pas de députés. J’ai bien sûr résumé la controverse à grands traits. Mais, avouez que c’est piquant de dire à un parlementaire qu’il est un « gauchiste » puisqu’à la source cela veut dire qu’il refuse de participer aux élections parlementaires. En réalité, si l’on est rigoureux, dans le sens léniniste des choses, on ne peut donc être « gauchiste » et parlementaire.
Ce mot sera ensuite très souvent utilisé par les staliniens, puis par la presse de droite, contre les trotskistes, qui refusaient la bureaucratisation sanglante de la Révolution d’octobre. La direction du PCF dénonçait les « gauchistes » sitôt qu’ils étaient contestés sur leur gauche. Personnellement, durant mes jeunes années, j’ai été formé dans une école politique se réclamant du trotskisme où nous refusions ce qualificatif. « Gauchiste » était pour nous une injure.
A l’inverse, dans les années 70, un homme se revendiquait fièrement d’être un gauchiste, au point d’en faire un livre (assez simpliste) « le gauchisme, remède à la maladie sénile du communisme ». Cet homme c’est Daniel Cohn-Bendit. Aujourd’hui, il est un des soutiens acharnés à Emmanuel Macron. Se désigne-t-il comme un « macrono-gauchiste » ? Ce serait drôle, non ?
Forger une expression fumeuse, injurieuse, amalgamante, en associant deux termes contradictoires n’est pas chose nouvelle. Dans les années 30, les staliniens parlaient d’« hitlero-trotskystes », accolant deux mots totalement opposés. Comme si leurs opposants étaient des agents d’Adolf Hitler. C’est avec ce qualificatif que seront menés les infects procès de Moscou. Parallèlement, depuis 1917, avec la Révolution d’octobre, une expression connait du succès à l’extrême droite : judéo-bolchévique, ou judéo-communiste et judéo-marxiste. Il s’agit d’assimiler les juifs et les communistes dans une même expression. D’autres expressions aussi absurdes suivront dans l’Histoire. Cela continue aujourd’hui. Peu inspirée, mais dans l’air du temps manifestement, Marine le Pen parle également en ce mois de septembre 2017 des « islamo-trotskyste » lorsqu’elle désigne la France Insoumise. On pourrait presque en rire si ce n’était pas si sordide. Mais, au moins on voit la continuité historique. Pour démonter le caractère grotesque de ce genre d’expression, je les ai qualifié à l’assemblée nationale de « pagano-facistes ». De ma part, c’était une volonté de démontrer par l’absurde ces expressions fourre-tout.
Voilà donc d’où viennent les sources idéologiques de tous les apprentis sorciers qui nous insultent avec ce genre d’expression : le stalinisme et le fascisme. Honte à ceux qui les utilisent. Si des complaisances existent entre des militants se disant de gauche et l’intégrisme musulman, ils ne sont des animateurs de la France Insoumise. Mais, la haine contre Jean-Luc Mélenchon forge des passerelles entre l’extrême droite, la droite française et celui qui fut l’artisan du grand désastre du quinquennat Hollande. Je terminerai sur Manuel Valls. Je le met au défi que nous aurions le moindre lien avec « l’islamisme radical » ou autre « indigènes de la République » comme il ose l’affirmer sur les bancs de l’Assemblée nationale. Mauvais pour lutter contre l’intégrisme religieux, mauvais pour combattre le FN. Valls devrait éviter de faire la leçon. C’est d’ailleurs après trois ans de sa politique que le FN a réalisé ses meilleurs scores et que sa candidate s’est retrouvée au second tour.
On comprend que les députés FN l’applaudissent à l’Assemblée nationale.