Je m’exprime ici à titre personnel. Depuis ce matin, sans doute aussi un peu pour étouffer médiatiquement le succès de la journée d’hier contre la loi El Khomri et la difficulté pour l’ancien président de la République de se faire entendre, les grosses caisses de la controverse historique sont de sorties à droite. A la veille du 54eanniversaire du cessez le feu en Algérie pour les troupes françaises, suite aux accords d’Evian signés le 18 mars 1962, Nicolas Sarkozy et manifestement plusieurs responsables de la droite française ont décidé de chevaucher le tigre de la Guerre des mémoires concernant cette guerre (qui a attendu 1999, pour être reconnue comme telle).
Le point de départ de la controverse du jour est une cérémonie organisée demain par François Hollande devant le Mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie (Quai Branly à Paris). Je ne me prononcerai pas sur la qualité de ce que dira demain le Président de la République. Comme tous citoyens, j’ignore ce qu’il déclarera et quel sera son regard sur cette page d’histoire sensible. A ce stade de la polémique engagée par la droite, ce n’est pas le sujet. Par contre, je veux essayer de répondre à ce que dit M. Sarkozy, ferraillant sur le choix de la date du 19 mars, car je considère qu’il a profondément tort. Et je ne vois pas en quoi, la date du 5 décembre, qui existe uniquement car elle fut celle de l’inauguration du monument par Jacques Chirac le 5 décembre 2002, qui ne correspond à aucun événement historique, donnerait la garantie de l’apaisement. Au contraire, elle serait sans doute l’assurance du maintien de l’ambiguïté, triturée par tous les groupes et sous-groupes de mémoires, preuve d’un malaise qui ne s’éteint pas, alors qu’il est nécessaire d’avancer les yeux ouverts et la connaissance partagée.
Habilement, ces mêmes voix de droite s’élèvent au nom du refus de la guerre des mémoires. Mais ce qu’elles font produit l’inverse. Qui ne le voit pas. Dans le Figaro, M. Sarkozy publie une tribune titrée « Choisir la date du 19 mars, c’est entretenir la guerre des mémoires ». Mais, 54 ans après ce douloureux conflit, la réalité est que ceux qui sonnent la charge de cette façon contre le 19 mars, entretiennent assurément cette guerre des mémoires. Sur un sujet aussi sensible, il faut travailler à une paix des mémoires, rechercher le compromis mémoriel, refuser le communautarisme mémoriel dans lequel s’enferment tel ou tel groupes. Bien sûr, on peut discuter de toutes les dates de commémorations. Le 19 mars n’est sans doute pas une date idéale. Existe-t-elle ? Non. Comme ce conflit, ici tout est lourd de complexité. Mais faire scandale de la date du 19 mars, c’est marcher dans les pas ancien de l’extrême droite, du FN, de par exemple Robert Ménard à Béziers(et son permanent culte malsain à l’organisation criminelle OAS) et tous les nostalgiques de l’ordre colonial en Algérie qui ont toujours vomi cette date et ce … dès le 20 mars 1962 ! Ce refus s’est d’ailleurs écrit par le sang. Il est temps de rappelé ici par exemple la mémoire de Camille Blanc le Maire d’Evian, ancien résistant et pacifiste, assassiné le 31 mars 1962 par l’OAS, pour avoir accepté que sa ville accueille des pourparlers de paix entre des représentants de la France et du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA).
54 ans plus tard, une fois les braises refroidies d’un conflit douloureux n’est-il pas temps d’avancer et d’essayer de bâtir une mémoire commune et apaisée d’un tel conflit ? Pour éviter que des approximations soient assénées ici ou là, il est nécessaire de rappeler quelques chiffres qui font l’unanimité chez la grande majorité des historiens français. Ce conflit entre 1954 et 1962 a causé la mort de 300 à 400 000 « algériens » (aux noms différents selon les époques : indigènes, français musulmans, etc..), 30 000 soldats « appelés » et 10 000 « pieds noirs » (je suis conscient du caractère discutable de ces dénominations mais chacun comprendra).
Ce fut donc une guerre sanglante et cruelle. Bien sûr, après le 19 mars 1962 il y eu des violences et des massacres inacceptables (rue d’Isly, Oran.). Personne ne peut et ne doit le nier. Pour autant, il serait délirant de sous-entendre qu’il y eut plus de morts après le 19 mars qu’avant, comme on pourrait l’entendre en écoutant certains ultras qui s’expriment. A partir du 19 mars, les 400 000 appelés sous l’uniforme, qui étaient présents en Algérie comprirent que la guerre était finie pour eux et qu’ils allaient entrer dans leurs familles. Pour les 1,5 millions d’appelés, c’est une date qui fait sens. Mais pour sûr que tout cela est douloureux pour bien des acteurs engagés. Il y a bien sûr la grande majorité du peuple algérien qui obtenait chèrement la fin d’un ordre colonial injuste. Je n’oublie les Harkis, injustement traités par le gouvernement français et pour certains massacrés cruellement par des unités du FLN après le cessez-le-feu. Je n’oublie pas non plus le million de pieds noirs qui ont aimé passionnément ce pays qui était le leur et celui de leurs ancêtres, et qui ont dû le quitter dans une grande souffrance, malgré les promesses non tenues et les espoirs d’y rester. Certains le firent toutefois.
Je ne veux pas oublier enfin que si une autre histoire ne fut pas possible en Algérie c’est en raison notamment des meurtriers de l’OAS, animés par des ultras, fanatiques et brutaux, qui ne voulaient d’aucun changement politique, et qui se déchainèrent particulièrement après le 19 mars. La catastrophe algérienne est aussi le fruit d’un long mépris des autorités françaises envers tous ceux qui ont rêvé une autre histoire pour cette terre. Je pense ici à Ferhat Abas, grande personnalité politique algérienne, fils des idéaux des Lumières, qui a cru d’abord à la politique d’assimilation avant de se rendre à l’évidence qu’il n’y avait pas d’autre issue que l’indépendance. Je pense encore au père du nationalisme algérien Messali Hadj fut toute sa vie méprisée par les autorités politiques françaises qui ne l’ont jamais rencontré officiellement.
Cette histoire est donc complexe. Car, si ce fut une guerre, ce fut aussi une guerre civile. Ce fut également une guerre politique dans le contexte de la décolonisation. Ce fut enfin une guerre sociale car ceux contre qui l’armée française luttait, étaient en dernière analyse le parti des humiliés et des opprimés.
C’est là-dessus que j’aimerai terminer. Nicolas Sarkozy a tort d’écrire en conclusion de sa tribune « « choisir la date du 19 mars que certains continuent à considérer comme une défaite militaire de la France, c’est en quelque sorte adopter le point de vue des uns contre les autres, c’est considérer qu’il y a désormais un bon et un mauvais côté de l’Histoire et que la France était du mauvais côté.» Non. Qui sont ces « uns » et ces « autres » ? Ces non-dits sont lourds de sens. Et puis, il est faux de considérer que la commémoration du 19 mars serait la date des Algériens ou du FLN en quelque sorte, contre qui les soldats français ont lutté. Il n’y a là aucune repentance de la part de la France vis à vis de l’Algérie en évoquant cette date. Non, cette date n’est pas fêtée aujourd’hui « comme une victoire » en Algérie et elle est aussi l’objet de controverse de l’autre côté de la méditerranée (Contrairement à ce qu’affirment certains dans Valeurs Actuelles). Non, M. Louis Aliot, vice-président du FN, aussi forte soit la douleur et aussi tragique furent les violences et règlements de compte massifs, il est délirant d’évoquer l’existence d’un « génocide » à partir de cette date. Les mémoires de morts, le respect de leur sacrifice, tombés pour la France ou pour l’indépendance de l’Algérie, exigent une certaine tenue dans ce débat. Et puis surtout, ne tournons pas autour du pot. Construire le futur impose la vérité. L’amour pour mon pays, de son peuple et son histoire riche et tumultueuse (et ses nombreuses ombres aussi) me force à écrire la chose suivante. Oui là-bas la France a combattu pour un ordre injuste, il était donc juste d’être battu. Ouvrons les yeux ! C’était une guerre perdue d’avance et le bon droit républicain et son idéal égalitaire n’était pas du côté des armées françaises. Qui veut contester cette réalité ? 54 ans après cette guerre injuste, il serait temps d’assumer cela, paisiblement, fraternellement. Pourquoi reprendre les thématiques de ceux pour qui la guerre n’est pas finie, et qui montrent souvent du doigt nos compatriotes de confessions musulmanes comme étant des héritiers des combattants du FLN qu’il faudrait bouter hors de métropoles, comme un ultime épisode de ce si long conflit. La guerre est finie ! Combien de fois faudra-t-il le répéter ? Et quel que soit le camp dans lequel nos aïeux se sont engagés, nous avons désormais un pays à construire ensemble.
Pour bâtir une mémoire commune, et agrandir ainsi notre Histoire de France, pour la paix et la fraternité, hier comme aujourd’hui, il faut entrer dans le temps des mémoires apaisées sur la guerre d’Algérie. Ceux qui le refusent, ne rendent pas service à la France.